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« Du Domaine des Murmures » (Festival de Caves – Lyon)

1 Mai
9e édition du Festival de Caves  (26 avril-27 juin 2014) à Besançon et ses alentours, Lyon, Grenoble et dans une soixantaine d'autres villes.

9e édition du Festival de Caves (26 avril-27 juin 2014) à Besançon et ses alentours, Lyon, Grenoble et dans une soixantaine d’autres villes.

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Affiche du Festival de Caves

Du Domaine des Murmures est une adaptation mise en scène par José Pliya d’après le roman de Carole Martinez (Prix Goncourt des Lycéens 2011).

Portée par la comédienne, chanteuse et musicienne Léopoldine Hummel.

Dans le cadre de la 9e édition du Festival de Caves  (26 avril-27 juin 2014), créé et dirigé par Guillaume Dujardin  (Compagnie Mala Noche – Besançon).

 

On s’amuse bien à Lyon !

Il n’y a pas à dire, la nuit presque tombée (ce qui est tout relatif, vu la saison), Lyon regorge d’occasions de profiter de créations artistiques qui sortent de l’ordinaire.

Jacco Gardner @Marché Gare (Lyon) - 28 janvier 2014

Jacco Gardner @Marché Gare (Lyon) – 28 janvier 2014

Si ces derniers mois, j’ai principalement multiplié les concerts à Lyon des plus intimistes (ambiance cosy avec Jacco Gardner, la fraîcheur de sa musique soul de la sublime Lauren Housley ou le bluesman Paulo Furtado alias The Legendary Tigerman lors d’un concert surprise chaud bouillant mais intime dans la cave d’un pub sur les pentes de la Croix-Rousse) aux plus énormes (le rock’n’roll tant attendu du Black Rebel Motorcycle Club, l’un des meilleurs concerts de ma courte vie avec bis repetita Paul Furtado au Marché Gare quelques jours avant le concert surprise ou encore Kitty, Daisy & Lewis pour la Foire de Lyon), les sorties théâtrales se sont faites malheureusement plus rares.

Peter Hayes - BRMC @Le Radiant (Lyon) - 10 février 2014

Peter Hayes – BRMC @Le Radiant (Lyon) – 10 février 2014. Parce qu’un concert de rock peut aussi avoir des moments intimistes acoustiques en rappel.

Huit mois à Lyon et seulement (mais pas des moindres) Cendrillon au TNP, un petit bijou mis en scène par Joël Pommerat et une adaptation jouée en anglais et surtitrée en français du Julius Caesar de Shakespeare par une troupe étudiante de l’ENS, mis en scène par Simmi Singh avec une très jolie scénographie. Voilà, c’est un peu pauvre comparée à l’orgie musicale juste au-dessus.

Qu’à cela ne tienne, j’ai profité hier soir de l’escale lyonnaise du Festival de Caves depuis le week-end dernier pour rattraper mon retard en la matière et fêter la fin des exams mais surtout la fin momentanée de ma vie sociale pour cause de rédaction de mémoire de Master. Quoi de mieux que d’aller entendre l’histoire d’une recluse quand, un mois durant, on va soi-même se couper un peu du monde. En mai, fais ce qu’il te plait ? C’est cela oui.

Le Festival de Caves

J’ai entendu parlé du Festival de Caves plus ou moins l’été dernier grâce à un ami qui m’avait partagée son expérience, participant pour la 8e édition depuis la régie à la création et aux représentations à Besançon de Mlle Else d’après Arthur Schintzler, mise en scène par Charly Marty et avec Anais Mazan qui en a adapté le texte. De ce qu’il m’en avait parlé et vu ce qu’on voit et ce qu’en dit la comédienne dans la vidéo ci-dessus, je pense que ça m’aurait plu !

Guillaume Dujardin

Guillaume Dujardin

J’avais été vraiment enthousiasmée par ce projet génial de jouer dans des lieux souterrains devant un petit public pour l’ambiance bien sûr mais aussi pour ce que ça a d’insolite, de nouveau et de risqué scéniquement. Après tout, c’est un pari de choisir une unité de lieu aussi peu commune. Un peu comme les églises, la pierre et les caves voûtées ont une telle résonance que ces lieux hors-normes ont l’air fait pour le théâtre. Et pourtant, il fallait en avoir l’idée, « l’intuition », ce qui a été le cas de Guillaume Dujardin et de sa compagnie Mala Noche en 2005.

Depuis neuf ans, le festival est depuis longtemps sorti de l’ombre et du succès local autour de Besançon pour gagner un plus large public de Strasbourg à Montpellier en passant par Lyon/Villeurbanne, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Lille et même Paris ! Ce projet ambitieux n’en est pas moins humain : toucher à petite échelle un public certes élargi par la tournée française et européenne (le festival passant par Genève) mais restreint par la capacité des caves à pas plus de vingt personnes. Sans trahir, je l’espère, l’esprit du festival, je le vois à la fois comme un projet démocratique et privilégié en offrant dans les grandes villes une autre forme de théâtre et en rendant accessible tout bêtement le théâtre dans les petites villes et les villages là où il n’y en a pas forcément.

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Ce qui me touche donc, c’est l’approche différente au spectateur et la proximité créée entre les comédien(ne)s et nous. Pas de vilain « quatrième mur » ce qui est d’autant plus intéressant entre quatre murs dans un lieu aussi clos qu’une cave. Il s’agit presque de s’immerger, d’oublier qui joue et qui regarde pour mieux profiter pendant plus ou moins une heure de la beauté de la langue, d’une ou plusieurs voix et des histoires secrètes, des tabous qui sont contés.

Du Domaine des Murmures

« Ce château n’est pas de paroles déclamées sur le théâtre par un artiste qui userait de sa belle voix posée et de son corps entier comme d’un instrument d’ivoire. Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir. Des mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et qui s’étirent en un chuintement doux. »

Léopoldine Hummel

Léopoldine Hummel

C’est presque par ces mots que la prestation de Léopoldine Hummel s’est achevée après un monologue intense (et je crois, éprouvant pour elle). Parmi le public et munie du micro à pied qui l’avait accompagné dans le minuscule angle de la cave pendant une heure devant nous, la comédienne raconte comme une narratrice d’une voix presque impersonnelle l’histoire résumée d’Esclamonde qu’elle a incarné si passionnément. Toutes les clés sont ainsi données, heureusement à la fin, pour mieux reconstruire ce que le monologue a dit sans dire. Plus que tout, on comprend mieux à quel point l’histoire d’Esclamonde, qui peut paraître bien éloignée de notre vécu, de notre monde et de notre façon de parler, résonne en nous de façon presque universelle. Esclamonde est réduite à une voix mais aussi à « une borne entre les mondes » et les âges :

« Écoute !
Je suis l’ombre qui cause.
Je suis celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister.
Je suis la vierge des Murmures. A qui toi peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l’espoir des emmurées. »

John-Everrett Millais, St agnes Eve (c. 1850) - Tate Gallery

John-Everrett Millais, St Agnes Eve (c. 1850) – Tate Gallery

Une jeune fille qui dit « non » devant l’autel, se tranche l’oreille pour montrer à quel point elle est déterminée à refuser un mariage forcé voulu par son père et qui, paradoxalement, gagne sa liberté par la réclusion en se donnant à Dieu. Vierge et pourtant « miraculeusement » mère… Coupée du monde et pourtant ne pouvant s’en défaire, tant, depuis la fénestrelle de son réclusoire, elle doit supporter les suppliques des pèlerins.

« Très vite, j’ai remarqué qu’on parlait surtout à mon oreille mutilée, qu’on se penchait ostensiblement vers elle pour y lâcher ses phrases. Mon oreille absente avait la profondeur d’un puits, on y jetait pêle-mêle tout ce que Dieu devait savoir. »

J’ai eu l’impression d’assister à un fait-divers médiéval ou à une version de Peau d’Âne qui aurait mal tourné. Ainsi placés devant Léopoldine Hummel, on était presque mis malgré soi en position de pèlerin : un de plus ou plutôt un de trop où, prise de faiblesse, Esclamonde se serait mise à déballer son histoire, à parler à son père, à son fils, à Dieu comme si elle nous prenait pour eux. C’est la parole qui devient libératrice, même si c’est par flot parfois chaotique, qui place Esclamonde entre la raison et la folie.

J’ai vraiment été touchée par le jeu tout en finesse de Léopoldine Hummel qui, toute menue, a su transmettre la force et la voix intérieures de son personnage. Après la lecture du résumé avant d’y assister, j’avais peur du traitement du thème religieux pas pour lui-même mais pour son décalage et son sérieux et, pourtant, j’ai trouvé que la comédienne rendait très humaine et actuelle cette histoire de vierge-mère. Comme l’écrit le metteur en scène José Pliya, « ce qui me séduit dans Du domaine… c’est l’idée d’explorer la relation des filles aux pères, des mères aux fils »  En ce sens, le thème religieux devient presque une métaphore, un langage particulier pour parler d’une relation complexe et pleine de non-dits et de tabous.

Léopoldine Hummel (Esclamonde)

Il y avait aussi un jeu assez astucieux sur les voix notamment grâce au micro dont la présence au début m’a pourtant rendu un peu perplexe. Après tout la voix douce de la comédienne a su aussi devenir plus forte voire violente quand il le fallait. Pourquoi un micro ? Visiblement, il s’agit de jouer sur la polyphonie du titre « du domaine des murmures » comme une double adresse : celle du lieu de réclusion et de la voix de la récluse qui murmure ses choix et ses dilemmes. En transformant la voix de la comédienne, le micro a permis de traduire la voix intérieure sous toutes ses formes du personnage.

La scénographie épurée et la musique médiévale présente à la fois pour introduire et conclure le monologue avant la prise de parole de la « narratrice » parmi le public m’a semblé intéressante même si la voix de Léopoldine Hummel seule aurait presque suffi. Par contre, j’ai été plutôt conquise par le jeu avec les pierres et les cailloux qui jonchaient la cellule imaginaire d’Esclamonde surtout quand elle les égraine ce qui donne bien l’impression de façon concrète et simple que le temps passe.

Contraintes du lieu oblige, j’avoue avoir été un peu déçue par la cave en elle-même : j’aurais adoré voir cette performance dans une vraie cave voûtée et peut-être plus coupée des bruits de la rue même si se retrouver dans la cave du café « Le Moulin joli » (place des Terreaux) a visiblement enchanté d’autres spectatrices vu ce que j’ai pu entendre en descendant les escaliers.

Je regrette aussi le peu de réactivité du public. C’est un point de vue tout relatif de quelqu’un qui est généralement comme on dit « bon public ». J’ai vraiment senti des pointes d’humour, d’ironie et de cynisme qui égaillaient le sérieux du propos et donnaient aussi à penser. Par exemple, la sérénade du fiancé éconduit chanté par la comédienne, l’évocation des ébats des amants Bérengère et Martin qui lui offrent de la délivrer ou encore l’histoire de la fraise des bois qui lui rappelle sa mère (« Une fraise des bois ! L’infini à portée de bouche ! ») m’ont fait rire et sourire, ce qui visiblement n’était pas le cas de tout le monde…

« Mais de mon désir, nul ne se souciait. Qui se serait égaré à questionner une jeune femme sur son vouloir? Paroles de femme n’étaient alors que babillages. Désirs de femme dangereux caprices à balayer d’un mot, d’un coup de verge. »

Forcément, ce fait-divers médiéval a beaucoup de résonances féministes mais j’ai été agréablement surprise par la variété du public choisi : sur une quinzaine de personnes, il y avait autant de jeunes femmes que des hommes d’âges mûrs et aussi des adolescentes preuve que le Festival de Caves sait rassembler les générations.

Affiche 2012 du Festivak de Caves

Affiche 2012 du Festival de Caves

Du Domaines des Murmures est encore à Lyon jusqu’à aujourd’hui et en tournée dans toute la France : Grenoble (2, 3 & 4 mai), Bordeaux (14 mai), Toulouse (15 mai) ou à Besançon (19 & 20 mai). Réservations : 03.81. 61.79.53

Programmation complète sur le site du Festival de Caves.

Merci à Thomas, le jeune homme de l’ombre derrière la régie, qui m’a conseillé d’aller voir Du Domaine des murmures. 😉