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« L’affaire Jane Eyre » (2001) de Jasper Fforde

16 Fév
jane eyre affair

L’affaire Jane Eyre de Jasper Fforde

« – Je suis censé la croiser par hasard; elle ne va pas tarder à arriver à travers champs dans cette direction. Comment suis-je ?

Il redressai sa cravate et hochai la tête en signe de satisfaction.

– Vous me trouvez beau, Miss Next ? s’enquit-il tout à trac.

– Non, répondit-je sincèrement.

– Bah s’écria Rochester. Coquines, toutes les deux ! »

 

 

Résumé

L’Affaire Jane Eyre est le premier tome de la série Thursday Next, l’héroïne éponyme. Le monde de 1985 dans lequel vit Thursday Next est uchronique, à la fois familier et décalé par rapport à l’Histoire telle que le lecteur la connait. Vétéran de la Guerre de Crimée qui oppose l’Angleterre et la Russie depuis plus d’un siècle, elle n’a jamais entendu parler de la Révolution russe (puisque la Russie est encore tsariste), du nazisme ou encore de la Guerre Froide. C’est qu’il n’y a plus non plus de Royaume-Uni puisque le Pays de Galles est enfin devenu indépendant (ce qui aurait ravi Perceval dans Kaamelott).

Shakesparleur (illustration de Maggy Roberts)

Ce monde nouveau est eugéniste : les expérimentations génétiques sont légions ce qui a permis de régénérer des espèces disparues comme les mammouths, les Neandertal, ce prolétariat par excellence considéré comme des sous-hommes ou encore les dodos clonés et transformés en animaux de compagnie à l’image de Pickwick, le dodo de Thursday qu’elle a cloné elle-même grâce à un kit de clonage. Si la science est omniprésente, la littérature l’est d’autant plus au point de voir un peu partout des Shakesparleurs, des automates qui, contre un peu de monnaie, déclament des monologues de Shakespeare ! (Si toi aussi tu veux un Shakesparleur dans le centre commercial le plus proche, tape 1)

Chose plus marquante, la police anglaise est divisée en plusieurs services d’opérations spécialisées, les Opspecs, allant d’OS-1 (« la police des polices » chargée des affaires internes des Opsecs) à OS-32 (Commission horticole) en passant par OS-27, la Brigade Littéraire où officie l’héroïne dans la cellule de Londres, sachant que la plupart des Opspecs sont top-secrets d’OS-1 jusqu’à OS-20. Si Thursday a grand hâte de monter les échelons et quitter OS-27, c’est pourtant en tant qu’agent de la Brigade Littéraire qu’elle va gagner ses lettres de noblesse, échappant enfin à la routine des contraventions contre les faussaires ou de l’éternelle querelle sur la paternité des œuvres de Shakespeare, La frontière entre réalité et fiction n’a jamais été aussi ténue quand un malfrat aux pouvoirs illimités, Achéron Hadès, décide non seulement de voler le manuscrit original de Jane Eyre mais de kidnapper l’héroïne du roman menaçant de l’éliminer grâce à une machine « La Porte de la Prose » qui permet de s’introduire dans n’importe quel roman. La mission de Thursday Next est la suivante : sauver son roman préféré et, accessoirement, s’acquitter d’une dette de longue date envers un certain Edward Fairfax Rochester…

Je sais, ça fait beaucoup trop longtemps que je n’ai pas posté sur La Bouteille. C’est mal. Très mal. Mais après tout, qu’importe la fréquence, n’est-ce-pas ? J’ai beaucoup d’admiration pour celles sur la blogosphère qui publient hebdomadairement (voire tous les jours, les petites fofolles !) mais je ne fais pas partie de ce club très fermé. Il faut se rendre à l’évidence, les vacances sont le meilleur moment pour bloguer pour moi. Ce n’est pas faute d’avoir lu depuis le mois d’août, date de mon dernier article sur le poignant Visages noyés de Janet Frame, mais avec un déménagement, mon année de M2 et la préparation du CAPES (cachez vos enfants l’an prochain,  inch’allah !), tenir ce blog n’a pas été ma priorité. Shame on me.

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Le temps où nous chantions (2003) de Richard Powers

Si je devais retenir un livre que j’aurais aimé prendre le temps de vous conseiller ici et de chroniquer, c’est bien Le temps où nous chantions de Richard Powers, un auteur américain contemporain que j’avais découvert il y a deux ans grâce à Adeline à l’occasion des Assises Internationales du Roman à Lyon. Le Temps où nous chantions a quelque chose de l’utopie moderne tellement l’Histoire américaine et surtout l’héritage de la ségrégation raciale est questionnée en confrontant une famille métissée passionnée de musique, persuadée que « la beauté sauvera le monde » comme l’écrit Dostoïevski dans L’Idiot et qu’il est possible d’élever leurs enfants « différents » abstraction faite des différences de races au nom de valeurs plus universelles comme la musique. Une famille en avance sur son temps. Avec ce roman, vous aurez 795 pages de lecture jubilatoire ponctuée de références musicales et d’une réflexion scientifique et métaphysique très poussée sur le temps et sur la possibilité de revivre le passé et de défier la mort. La portée de ces petits traités sur le temps occasionnels peuvent paraître déroutants en apparence et pourtant, c’est un roman qui pense bien le passé et qui aide à penser le présent. En un mot : foncez !

Si Le Temps où nous chantions a été mon coup de coeur de l’automne dernier, L’Affaire Jane Eyre est celui de ce début d’année. Si c’est déjà un classique du genre à peine une dizaine années depuis sa publication, j’ai un peu eu l’impression de combler une lacune tellement j’ai entendu du bien de ce roman autour de moi avant de le lire et depuis que j’en parle avec des proches maintenant que je l’ai lu. Autre chose positive, ça faisait une éternité que je n’avais pas lu de science-fiction juste pour le plaisir alors que je suis totalement passée à coté du Meilleur des mondes d’Huxley que j’ai étudié l’an dernier pour la fac. Ça fait du bien de revenir aux sources puisque c’est un peu grâce à la fantasy et à la science-fiction que l’ado que j’étais a appris à aimer lire.

Virus L.I.V 3 ou la mort des livres (1998) de Christian Grenier

Virus L.I.V 3 ou la mort des livres (1998) de Christian Grenier

En vérité, c’est un autre roman de science-fiction, cette fois de littérature jeunesse, qui m’a donné envie de lire enfin L’affaire Jane Eyre qui était dans ma liste à lire depuis bien sept ans : Virus L.I.V 3 ou la mort des livres (1998) de Christian Grenier conseillé par un ami. Le lien entre les deux, c’est la possibilité d’expérimenter une lecture améliorée, complètement virtuelle et à la fois très réaliste assez proche de celle du spectateur et pourtant plus active, où il serait possible non seulement de s’introduire dans l’univers du livre mais d’y vivre et donc de potentiellement en modifier le cours de l’action. Badass, n’est-ce-pas ? Sauf qu’autant L’affaire Jane Eyre que Virus L.I.V 3 en explorent à la fois l’énorme potentiel et le danger de concevoir la lecture comme une expérience totale puisque si le lecteur a tous les droits, pouvant non seulement s’approprier l’univers d’un autre mais aussi quelque part être un acteur à part entière de la fiction, la fiction en sort forcément altérée et lui aussi. Disons pourtant que L’affaire Jane Eyre est quelque part moins moralisateur avec un style beaucoup plus sarcastique et parodique par rapport à Virus L.I.V 3 qui explore la rivalité entre la lecture et la culture visuelle, virtuelle et numérique dans un futur proche où il y aurait l’accomplissement d’une République des Lettres où les lettrés et les érudits seraient au pouvoir (l’Académie française à  l’Assemblée en quelque sorte, sexy, n’est-ce-pas ?) alors que les adeptes des nouvelles technologies et les hackers (dans les banlieues, forcément…) seraient des marginaux qui auraient décider de détruire les livres grâce à un virus qui changerait la façon de lire et d’écrire de la fiction et par la même occasion rendrait les pages complètement blanches, effaçant totalement l’écrit de notre quotidien. Forcément, ça rentre en résonance avec l’actualité et ce que l’on vit quotidiennement, à la fois constamment connectés et pour certains, gardant un lien toujours fragile avec l’écrit et les livres.

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« Ils étaient des milliers à encercler le poste derrière des barrières de sécurité, une bougie dans une main et un exemplaire du roman dans l’autre – un roman sérieusement écorné vu que le récit s’arrêtait abruptement au milieu de la page cent sept, après l’intrusion d’un mystérieux « agent en noir » dans la chambre de Rochester. (…) 
– Il n’y a pas grand chose à lire, rétorqua Victor. Jane Eyre a été écrit à la première personne, avec la disparition de la narratrice, Dieu seul sait ce qui va arriver ensuite. Moi je pense que Rochester va sombrer dans la mélancolie, expédier Adèle dans un pensionnat et fermer la maison. »

Mais l’intérêt véritable de L’affaire Jane Eyre, c’est quand même l’univers revisité de Charlotte Brontë. Depuis les tous débuts de ce blog, je n’ai pas caché mon amour inconditionnel pour Jane Eyre, pour son adaptation de 2006 et pour la famille Brontë. Lire ce premier roman de Jasper Fforde a donc forcément un plaisir pour la « brontéienne » que je suis qui rend merveilleusement hommage au roman de Charlotte Brontë. Avec ça, rien de plus simple que de s’identifier avec Thursday Next qui aime ce roman depuis son plus jeune âge et qui a une tendresse particulière (comme nous toutes) pour Edward Rochester. Pourtant, le roman qu’elle connait est différent à quelques détails près de la version que vous avez lu. A l’origine, la rencontre entre Jane et Rochester (mythique s’il en est) est des plus banale et surtout, la fin a quelque chose de cauchemardesque puisque Jane aurait fini par accompagner son (idiot) de cousin Saint-John Rivers en Inde (sans l’épouser, Dieu merci), laissant ainsi ce pauvre Edward à son triste sort avec sa cruelle femme séquestrée dans le grenier. Une fin bien p(our)ritaine, donc. C’est d’ailleurs comme ça que le kidnappeur de Jane Eyre, Achéron Hadès, l’appelle :

« Ce que vous pouvez être assommante, Jane, avec votre côté puritain. Vous auriez dû profiter de l’occasion pour partir avec Rochester au lieu de gâcher votre vie avec cette lavette de Saint-John Rivers. »
Edward Rochester (Toby Stephens) & Jane Eyre (Ruth Wilson) dans l'adaptation de 2006, réalisée par Susanna White.

Edward Rochester (Toby Stephens) & Jane Eyre (Ruth Wilson) dans l’adaptation de 2006, réalisée par Susanna White.

Si dans le monde de Thursday Next, c’est le puritanisme de Charlotte Brontë qui est retenu, personnellement moi, je n’y crois pas une seconde. Charlotte Brontë est autant sensible dans son écriture à la passion que sa soeur Emily qu’on oppose souvent beaucoup trop facilement. Ainsi, quelque part, l’intervention d’Achéron Hadès est presque une bénédiction puisqu’il donne la possibilité d’une nouvelle chance pour Jane et Rochester. Parlons-en de ce salaud. Il m’a beaucoup fait penser à un Moriarty, professeur et malfrat sans scrupules comme lui d’autant plus que les clins d’œil au monde de Sherlock Holmes sont nombreux par exemple avec le prénom de l’oncle de Thursday, Mycroft, l’inventeur du « Portail de la Prose » que convoite Achéron Hadès. Ce n’est pas spécialement un personnage qui m’a touché même si ses apparitions et sa verve étaient toujours agréables à lire mais je comprends qu’il ait pu marqué un bon nombre de lecteurs et qu’il doit être bien classé parmi les meilleurs vilains.

Pickwick, le dodo de Thursday Next.

Pickwick, le dodo de Thursday Next.

Personnellement, c’est Thursday qui m’a le plus touchée parce qu’il s’agit d’un personnage féminin fort qui a un talent exceptionnel pour se sortir de situations impossibles et pour ne pas obéir aux ordres. Un esprit libre, en somme. Bien sûr, sa situation amoureuse est au point mort malgré un ex-fiancé l’écrivain Landen Parke-Laine avec qui elle s’est brouillée dix ans avant l’action puisqu’il est à l’origine de la disgrâce de son frère Anton, mort en Crimée et tenu responsable d’une opération militaire qui aurait mal tournée. La famille de Thursday est d’ailleurs assez cool quand on y pense, mon préféré étant son frère « le très irrévérent » Joffy Next, prêtre à l’ESU (le culte de l’Etre Suprême Universel), avec qui Thursday se chamaille tout le temps. Elle a aussi un père très spécial, ancien colonel à la ChronoGarde (OS-12) et fugitif dans l’espace-temps qui fige le temps de temps en temps pour rendre un petite visite à sa fille et lui poser quelques questions sur l’Histoire telle qu’elle la connait. Une sorte de Doctor Who humain, en somme. Forcément, il a tout pour me plaire ! Mais ce que j’envie plus que la famille de Thursday Next, c’est son tout mignon petit dodo, Pickwick !

Le roman de Jasper Fforde n’est pas seulement un hommage à Jane Eyre mais à toute la littérature britannique et américaine allant de William Wordsworth, Edgar Allan Poe où deux personnages se trouvent coincée dans l’un de leurs poèmes respectifs en passant par Charles Dickens, Milton, Keats jusqu’à Shakespeare bien sûr qui est un peu le saint patron du monde de Jasper Fforde. Il y a bien sûr ces inventions géniales que sont les Shakesparleurs mais rien qu’une représentation de Richard III reste une expérience unique puisque les comédiens sont choisis parmi le public une heure avant la représentation et que le public est plus que jamais réactif, déclamant les répliques en même temps que les comédiens plus ou moins amateurs. A quand des pièces participatives et communautaires comme ça en France, les enfants ? Clairement, à la lecture de Jasper Fforde, on a l’impression que les fantasmes des amoureux de la lecture se trouvent réalisés et qu’il s’est beaucoup amusé rien que dans le choix des noms de ses personnages qui sont souvent emprunts de clins d’œil littéraires comme par exemple Spike Stoker, un agent d’OS-17 (Elimination de Vampires et de Loup-Garous : Suceurs et Mordeurs) avec qui Thursday se lie d’amitié.

C’est cet aspect parodique et l’humour de ce roman qui m’a le plus plu. Il y a quelque chose de délectable de se retrouver dans un monde aussi familier surtout quand on est amateur de littérature. L’organisation du roman est aussi très appréciable où chaque chapitre est précédée d’une fausse citation en exergue tirées par exemple de la biographie de Thursday Next par un certain Millon de Floss qui permettent parfois une mise en contexte  mais le plus souvent d’augmenter la part humoristique de l’ensemble.

Après avoir lu L’affaire Jane Eyre, j’ai enchainé avec le deuxième tome de la série, Délivrez-moi et je compte bien continuer dans ma lancée avec les cinq suivants. J’en suis à la moitié et je dois avouer que le coup de foudre n’a pas été aussi immédiat qu’avec L’affaire Jane Eyre mais c’était difficile de rivaliser. Toutefois, depuis quelques chapitres, je recommence à rire aux éclats donc je ne pense pas me délivrer de sitôt de Jasper Fforde !

Où trouver L’affaire Jane Eyre

Edition 10/18

Edition 10/18

L’affaire Jane Eyre de Jasper Fforde

Titre original : The Eyre Affair

Edition : 10/18 (410 p.)

Traduit par Roxane Azimi

9,60€

 

 

Où trouver les autres ? 

Edition 10/18

Edition 10/18

Le Temps où nous chantions de Richard Powers

Titre original : The Time of Our Singing

Edition : 10/18 (795 p.)

Traduit par Nicolas Richard

11,10 €

 

 

Livre de Poche Jeunesse

Livre de Poche Jeunesse

Virus L.I.V 3 ou la mort des livres de Christian Grenier 

Edition : Livre de Poche Jeunesse (190 p.)

4,95 €

 

 

 

« Adieu Gloria » (2007) de Megan Abbott

11 Juil

Adieu Gloria de Megan Abbott

« Alors, eh bien, oui, je lui servis mon plus beau déhanché, à la fois grande classe et poule à vendre. Quand on arrive à mêler intimement les deux, les gars ne comprennent pas ce qui leur tombe dessus. Ils n’arrivent pas à vous cataloguer. ça les rend dingues, du moins les plus futés. Ils vont tout faire pour vous mettre le grappin dessus. Vous êtes à la fois leur petite amoureuse de l’école maternelle et leur première pute, le tout dans un seul et même emballage torride. »

L’intrigue 

A 22 ans, elle a les dents longues mais rien ne la prédestine à devenir quelqu’un en étant la fille de personne. Rien, avant de croiser le regard de Gloria Denton, la Reine de la mafia locale qui travaille pour le compte de parrains pour truquer les paris, les courses hippiques et les casinos. La narratrice va devenir sa « pouliche », sa fille de substitution, apprenant grâce à elle toutes les ficelles du métier, persuadée que la relève sera assurée. Sauf que tout est une question de bonnes ou de mauvaises rencontres. Tellement avide de liberté, les erreurs s’enchaînent. Un raté, habitué des casinos et de la banqueroute, va lui mettre le grappin dessus mais on ne dit pas adieu comme ça à Gloria quand elle vous tient…

Vivian Rutledge (Lauren Baccall) dans The Big Sleep (1946)

L’été est définitivement un bon moment pour lire des polars. Après Une folie meurtrière de P.D James l’été dernier, un polar anglais dans un hôpital psychiatrique  privé, je suis revenue à mes vieux amours, le roman noir américain plein de belles plantes, de voyous et de policiers corrompus. Sauf qu’Adieu Gloria n’a de commun que l’ambiance avec Le Grand sommeil de Raymond Chandler, le premier classique noir que j’ai lu. Avec Megan Abbott, les valeurs du roman noir classique sont comme renversées et, ce qui n’est pas pour déplaire, les femmes y ont plus de place. Si l’inspecteur Marlowe charme tout ce qui bouge, il joue toujours plus finement que les personnages féminins qu’il croise.

Tante Polly (Helen McCrory) – Peaky Blinders

Or, contre une tradition des romans et des films sur la mafia, les parrains, « les grands patrons » comme la narratrice les appelle, font complètement figuration. On ne les voit pas, on ne les verra jamais et, d’ailleurs, ça n’a pas d’importance puisque la roue tourne à la fin pour de meilleurs gros poissons. Seule Gloria leur sert d’intermédiaire pour devenir une « marraine » de substitution. Femme de tête, son personnage m’a fait pensé de très loin à la matriarche Tante Polly (Helen McCrory) dans la série Peaky Blinders (2013) dont la famille truque les paris notamment des jeux de course. L’époque n’est pas la même mais, visiblement, récemment, derrière tout mafieux se cache une femme, une vraie.

Megan Abbott

Rien que la couverture donne le ton, après tout mais surtout les premières lignes : « Je veux ces jambes ». La sensualité des années 50, tout y est dans cet incipit. Si les jambes des femmes sont toujours un motif récurrent dans les polars (je crois me souvenir que Marlowe fantasme sur celles de Vivian Sternwood, la belle héritière), ce n’est pas le désir purement sensuel qui en explique la présence, c’est l’envie. Il ne faut pas croire que l’affaire amoureuse entre la narratrice et son bon à rien de Vic Riordan qui va déclencher le début de la fin en fait le cœur de l’histoire. Même faible, elle reste maîtresse du jeu malgré ses erreurs de débutantes. Et, surtout, la relation primordiale est bien celle qui lie Gloria et la jeune femme.

Lily Dillon (Anjelica Huston) dans The Grifters de Stephen Frears qui ressemble beaucoup à Gloria Denton

Maître et élève ? Très tôt, Gloria la prend sous son aile pour en faire sa créature. Elle ne fait pas seulement son éducation, elle la façonne à son image telle une Pygmalion du crime. Pourtant, ses intentions restent  presque jusqu’à la fin plus qu’ambiguës. Pourquoi l’avoir choisi, elle ? Jusqu’où la soutiendra t-elle, une fois les ennuis commencés ?  Entre main de fer et gant de velours.  Gloria porte d’ailleurs constamment des gants pour leur élégance mais surtout pour mieux cacher ses faiblesses. Ce que j’ ai aimé dans ce rapport de maître et d’élève, c’est la vulnérabilité de Gloria qui pointe dont la situation reste plus pathétique qu’autre chose. Aussi manipulatrice soit elle, Gloria materne plus la jeune femme qui en retour la respecte mais pas sans préférer sa liberté.

Mère et fille ? Gloria est définitivement un modèle féminin pour la narratrice, orpheline de mère et sans grande admiration pour son père, petit employé de casino dévot et sans le sous. Gloria a donc tout d’une marraine pour la jeune femme en lui offrant un avenir même si ça parait une perspective bien cynique pour une carrière de mafieuse. C’est l’intimité entre les deux femmes qui m’a captivé, au point de se détruire mutuellement. Tant de confiance et pourtant tant de suspicion mutuelle, de non-dits. Si la narratrice, la « mauvaise fille » qui déçoit sa patronne, est presque agaçante de naïveté, Gloria est un personnage plus opaque, plus complexe qui mériterait plus qu’un roman pour connaitre son histoire; Et pourtant, c’est sa réputation de femme passionnée derrière sa maîtrise qui ne pardonne jamais et se venge toujours (sauvagement si possible) qui en fait un personnage énigmatique. On ne sait pas ce qui est vrai, ce qui est légende chez elle ce qui permet de tout imaginer.

Certains autres personnages semblent plus stéréotypés, comme le beau parleur qui sert d’amant à la « pouliche » de Gloria. Avec ce roman noir très féminin, forcément, le seul personnage masculin un minimum développé parait légèrement moins intéressant. Contrairement à Vic (un prénom bien ironique pour celui qui ne fait que perdre), le personnage d’Amos Mackey, le nouveau caïd en veine, l’avenir personnifié de la mafia, est peut-être celui qui a le plus d’allure alors qu’on le voit à peine.

« Et Il savait quelque chose sur moi, il savait. »

Je voulais lire ce polar depuis un bout de temps et je n’ai pas été déçue. Je n’ai qu’une hâte, lire un nouveau Megan Abbott. Quel dommage qu’il n’existe pour l’instant aucune adaptation. Mais Gloria m’a tellement touchée que je crois que je serai forcément déçue. Dire adieu à Gloria, peut-être, mais pas à l’image que je m’en fais.

Comment lire Adieu Gloria ?

Adieu Gloria de Megan Abbott

J’ai lu Adieu Gloria dans l’édition Le Livre de Poche  pour EUR 6,10

Traduit de l’anglais par Nicolas Richard.

Disponible aussi aux éditions du Masque.

Lu pour le challenge « Thrillers & Polars » chez Liliba.

« None but You » / « For you Alone » de Susan Kaye

6 Août
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La lettre du capitaine Wentworth joliment customisée

« God, Anne, what have I done to us ? » (Susan Kaye, None but You)

En tant que Janéite, je n’ai lu que très peu d’austeneries, c’est-à-dire des romans dérivés de l’oeuvre de Jane Austen mis à part Moi et Jane Austen d’Emma Campbell-Wester où, selon un système de points ludiques, le lecteur devient une héroïne de Jane Austen et, à la fin, l’un ou l’autre des héros lui est attribué comme potentiel mari. Bien sûr, il a fallu que je tombe sur Mr Wickham au lieu du Capitaine Wentworth, d’où peut-être la déception qu’a été pour moi cette austenierie en tant que première approche.

Anne Elliot (Sally Hakins) et Frederick Wentworth (Rupert Penry-Jones) dans Persuasion (2007)

Fort heureusement, ma deuxième expérience a été un vrai plaisir de lecture grâce à la mise en valeur par Susan Kaye dans Frederick Wentworth, Captain du dernier roman de Jane Austen, Persuasion, L’idée de départ m’a séduite : raconter l’intrigue de Persuasion  tout en restant fidèle au caractère unique des personnages non plus du point de vue de la douce Anne Elliot, pleine de culpabilité et de regrets, mais selon Frederick Wentworth, aveuglé par le ressentiment et une bonne dose d’orgueil. Susan Kaye n’a pas seulement renversé la focalisation, elle l’a enrichie en donnant à Frederick un passé et un futur au-delà de ce qui est strictement raconté dans le roman en étoffant certaines informations et en comblant certains vides.

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Frederick Wentworth, Captain, I : « None but You »

Après ma relecture de Persuasion, c’est toujours difficile de se défaire de l’univers de son roman préféré et grâce au roman de Susan Kaye en double volume, j’ai pu dignement lui dire au revoir et explorer et réfléchir sur la valeur d’une réécriture pour un classique. L’inventivité de Susan Kaye m’a parue évidente dès la lecture des titres de ses deux volumes, None but You et For you Alone, directement inspirés de la lettre écrite par Frederick à la fin du roman et qui révèle ses vrais sentiments. C’est une scansion intéressante parce qu’elle décrit bien l’évolution du personnage  au début tourné vers le passé et des sentiments négatifs pour enfin être tourné vers l’avenir, acceptant enfin l’évidence du lien unique qui les unie en choisissant de lui pardonner. Voici la lettre en entier :

I can listen no longer in silence. I must speak to you by such means as are within my reach. You pierce my soul. I am half agony, half hope. Tell me not that I am too late, that such precious feelings are gone for ever. I offer myself to you again with a heart even more your own than when you almost broke it, eight years and a half ago. Dare not say that man forgets sooner than woman, that his love has an earlier death. I have loved none but you. Unjust I may have been, weak and resentful I have been, but never inconstant. You alone have brought me to Bath. For you alone, I think and plan. Have you not seen this? Can you fail to have understood my wishes? I had not waited even these ten days, could I have read your feelings, as I think you must have penetrated mine. I can hardly write. I am every instant hearing something which overpowers me. You sink your voice, but I can distinguish the tones of that voice when they would be lost on others. Too good, too excellent creature! You do us justice, indeed. You do believe that there is true attachment and constancy among men. Believe it to be most fervent, most undeviating, in

F. W.

I must go, uncertain of my fate; but I shall return hither, or follow your party, as soon as possible. A word, a look, will be enough to decide whether I enter your father’s house this evening or never.

Frederick Wentworth, Captain, II : Fory You Alone

Frederick Wentworth, Captain, II : For You Alone

Si None but you décrit le chemin intérieur que Frederick a dû traverser pour arrêter de nier ses sentiments, incapable de trouver par élimination l’égale d’Anne, For you Alone s’intéresse à l’avenir de Frederick, à ses projets en vue de reconquérir Anne contre un certain nombre de rivaux et d’obstacles, dont le premier reste lui-même. Ainsi, on alterne entre son passé et son avenir tout en s’intéressant au présent de la narration, en l’occurrence le déroulement de l’intrigue initiale du roman. J’ai énormément aimé le traitement du passé du capitaine Wenworth, non seulement sa rencontre avec Anne à l’été de l’an 06 mais aussi l’histoire de sa famille et le rôle de son frère dans son éducation.

Contrairement au roman où le passé du couple est raconté dès le début, Susan Kaye a choisi d’éparpiller toutes ces croustillantes révélations tout au long des deux romans grâce à des flash-back ou même des rêveries éveillées. Choisir de ne pas présenter les événements de façon chronologique rend moins artificielle leur relation, plus passionnée aussi ! Dans les romans de Susan Kaye, Frederick a un coté moins froid et moins digne pour révéler une nature plus tourmentée, presque hanté par ses souvenirs idéalisés de l’été de leur rencontre. L’image qu’il a d’Anne est saturée de lumière, d’émotions aussi. Leur relation parait plus charnelle et sensuelle ce qui rend d’autant plus amère la perte de leur intimité. Il est beaucoup question de désir et du toucher : tenir Anne dans ses bras au bal, leur seul baiser échangé, effleurer sa nuque en désertant les mains du petit Walter sur le dos d’Anne ou encore, à leur retour de Lyme après l’accident où Anne se retrouve dans ses bras après avoir failli tomber quand la chaise de poste a évité un obstacle. Çà rend leur relation plus moderne, plus réaliste aussi. Elle a un je ne sais quoi en plus par rapport au roman tout en lui restant fidèle.

Anne Eliot (Sally Hawkins) et Frederick Wentworth (Rupert Penry-Jones)

Susan Kaye n’a pas seulement étoffé leur relation, elle a aussi ajouté ses propres personnages : le jeune George, le protégé candide de Frederick qui l’accompagne chez son frère, la jeune épouse d’Edward Wentworth pour qui j’ai eu beaucoup de tendresse, Gilmore Craig, un ami marin lui aussi amoureux d’une certaine Anne (à croire que ce prénom le poursuit) ou encore un ami amiral, compagnon plus qu’haut en couleur à Bath. Le premier roman commence peu après la mort de Fanny Harville et l’annonce de la nouvelle au capitaine Benwick est le premier tourment que connait Frederick depuis la fin de la guerre. Le capitaine Harville le choisit parce qu’il n’aurait pas soit-disant connu l’amour, preuve que le capitaine Wentworth ne se serait pas confié à son meilleur ami. Ça correspond au goût du secret de Frederick, et même si le roman initial reste muet sur le sujet, je préfère l’interprétation de l’adaptation de 2007 qui laisse entendre qu’Harville est dans le secret. Après tout, ce personnage joue un grand rôle dans leur réconciliation, j’aime l’idée qu’il soit plus étoffé.

Anne Elot (Sally Hawkins) & le capitaine  Harville (Josepf Mawle)

Anne Eliot (Sally Hawkins) & le capitaine Harville (Josepf Mawle)

Plusieurs scènes ajoutées restent mes préférées : tout le temps passé chez son frère dans le Shropshire où Edward lui raconte la rencontre avec sa future femme et l’évolution de ses sentiments et la jalousie honteuse de Frederick face au bonheur de son frère aîné sans parler de leur définition de l’amour :

« – As I looked at her, I realized we were becoming part of one other. It was like…

– … seeing your own reflection looking back at you in the mirror. It is not your face, not even your sexe. But it is you. »

J’ai particulièrement aimé le traitement du retour à Uppercross et particulièrement ce moment splendide du départ de Frederick où une servante lui remet un paquet de provisions et une couverture pour le voyage préparé par Anne elle-même. Le soin avec lequel Wentworth traite cette couverture pour le cheval en l’emmenant partout avec lui par la suite est juste touchant !

Mais le meilleur passage revient surement à une conversation entre lui et Gilmore Craig à Plymouth sur les femmes. Gil le perce à jour en devinant son passé amoureux qui le pousse à être si indifférent à la gente féminine. C’est un passage d’autant plus intéressant que, dès le début, Frederick n’arrive pas à se libérer de l’emprise d’Anne sur lui, tout en niant avoir encore des sentiments pour elle. Quelque part quelque chose le retient à refaire sa vie, peut-être l’espoir, chose impossible si la femme qu’il aimait avait été morte :

« I have come to the conclusion that truly, in your heart, you are a Romantic (…) one who believes there can be true and equal love between men and women. (…) I think you will not settle for a sham marriage of convenience, or even companionship, because you know there is something far superior. I believe you have been deeply and completely in love. (…) You are the sort of man who would move heaven and earth to make her your wifeif she were obtainable. »

S’il y avait une réécriture à lire de Persuasion, ça serait celle de Susan Kaye ! Je ne connais personne d’autre pour donner autant de plaisirs avec ces personnages, à part Jane Austen.

Où se procurer None but You & For you Alone de Susan Kaye ?

Série Frederick Wentworth, Captain de Susan Kaye

  1. Tome 1 : None but You – Wytherngate Press, 252p, EUR 6, 62 (Kindle) ; EUR 10, 94 (Format papier)
  2. Tome 2 : For you Alone – Wytherngate Press, 228p, EUR 6, 62 (Kindle) ; EUR 11, 11 (Format papier)
  3. Tome 3 : A word, a look – Wytherngate Press, à paraître.
  4. A Plan of his Own Making de Susan Kaye, une nouvelle réécriture de Persuasion, à paraître. Chapitres 1-8 en ligne sur son site

Mes Lectures Communes

13 Juil

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Depuis le début du mois, je me suis un peu lâchée avec les challenges. Il faut dire que la tentation était trop grande et j’ai même organisée mon propre challenge sur la Littérature et la culture du Commonweath. Vous êtes d’ailleurs vivement encouragé(e)s d’y participer si vous voulez découvrir la littérature anglophone différemment grâce à un petit Tour du monde. Vous pouvez même nous rejoindre dans le groupe FB du challenge « Littérature du Commonwealth ».

Mais après avoir cédé à autant de challenges, il me fallait bien affronter les conséquences. Voilà pourquoi je me suis engagée dans beaucoup de LC pour me motiver, particulièrement en octobre pour le mois américain chez Noctembule. Voilà pourquoi j’ai eu envie d’organiser d’autres LC, et si mes prochaines lectures programmées coïncident avec vos envies ou votre PAL, n’hésitez pas à me rejoindre ! J’aime beaucoup ces moments de partages et ce genre de lectures communes est toujours l’occasion parfaite.

Le Pavé de l’été

Chez Brize

[Lire minimum un pavé d’au moins 600 pages]

 

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Villette de Charlotte Brontë

– Sépulcre de Kate Mosse

– Le Clan des Otori, Le Fil du Destin de Lian Hearn

– Le temps où nous chantions de Richard Powers

– Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski

 

Challenge « Littérature du Commonweath »

Chez La Bouteille à la Mer

[12 pays du Commonwealth retenus, 12 LC chaque mois mettant à l’honneur un pays]

Juillet (Nouvelle-Zélande)

– The Whale Rider de Witi Ihimaera avec Laura

– Visages noyés de Janet Frame avec Alexandra

Les âmes brisées d’Alan Duff avec Alexandra

Août (Australie)

– Les oiseaux se cachent pour mourir de Colleen McCullough (Australie) avec Alexandra

– Les affligés de Christ Womersley avec Valérie, Alexandra et Laura

Septembre (Québec)

– Du mercure sous la langue de Sylvain Trudel (Québec) avec Laura, Cryssilda, Yueyin et  Alexandra

Octobre (Irlande)

– Dubliners de James Joyce (Irlande) avec Laura, Valérie et Alexandra

Novembre (Inde)

– A Passage to India d’E.M Forster avec Laura

Décembre (Afrique du Sud)

– Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela avec Laura

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Janvier (Chypre) 

– Citrons acides de Laurence Durrell avec Laura

Février (Canada)

– Captive de Margaret Atwood avec Laura


Mars (UK et Pays extérieurs au Commonwealth)

–  Kim de Rudyard Kipling avec Laura et Alexandra

– Le pays oublié du temps de Xavier-Marie Bonnot avec Valérie

Avril (Rwanda)

– Un livre sur le génocide rwandais (Rwanda)

– Une saison de machettes de Jean Hatzfeld avec Valérie, Laura et Alexandra

Mai (Malte)

– Malta Haninai de Daniel Rondeau avec Laura

Juin (Papouasie)

– The Crocodile de Vincent Eri avec Laura

 

Le mois québécois (Septembre)

Chez Karine & Yueyin

[Lire tout le mois de septembre autant d’auteurs québécois que possible]

Du mercure sous la langue de Sylvain Trudel avec Cryssilda, Yueyin et Alexandra

 

Le mois américain (Octobre)

Chez Noctembule

[Lire tout le mois d’octobre autant d’auteurs américains que possible]

– Un livre d’Edgar Allan Poe pour le 2 octobre : Noctenbule et Alexandra

– Un livre de Edith Wharton pour le 16 octobre: avec George et Alexandra

– Un livre de William Faulkner pour le 22 octobre avec Alexandra

– Un livre d’Ernest Hemingway pour le 26 octobre avec Noctenbule et Alexandra

– Un livre de Charles Bukowski pour le 28 octobre  avec Noctenbulelacritiquante et moi

– Adieu Gloria de Megan Abbott  avec Alexandra

– Fragments du Paradis de F.S Fitzgerald avec Alexandra

– Un bon jour pour mourir  de Jim Harrison pour le 21 octobre avec Alexandra

– Trois fermiers s’en vont au bal de Richard Powers avec Alexandra

– L’épée de Vérité – Tome 2 de Terry Goodkind avec Alexandra

 

Challenge « Les Sœurs Brontë »

Chez MissyCornish

Villette de Charlotte Brontë (Août)

La recluse de Wildfell Hall d’Anne Brontë (Septembre)

– The Bronte Family; Read By Anna Bentinck, David Shaw-Parker, Eve Karpf (Livre-audio)

 

Challenge « Thrillers & Polars »

Chez Liliba

[Catégorie « Touriste Planqué » : 8 lectures au choix]

La promesse des ténèbres de Maxime Chattam en Livre-audio pour moi (Août)

A Study in Scarlet d’Arthur Conan Doyle (Septembre)

– Adieu Gloria de Megan Abbott (Octobre)

Le club des policiers yiddish de Michael Chabon (Octobre)

– R&B : Le gros coup de Ken Bruen (Novembre)

– L’âme du mal de Maxime Chattam (Décembre)

 

Challenge « Pavé de l’été »

28 Juin

Avec l’été qui est là (façon de parler vu la météo), c’est aussi la saison des challenges qui arrive pour mettre au régime nos PAL respectives qui ne demandent que ça. Après le challenge Polars & thrillers de Liliba (qui finit le 7 juillet mais que je continuerai pour le plaisir) et le challenge Virginia Woolf chez Lou, voici un challenge estival « Le Pavé de l’été » chez Brize qui, comme son nom l’indique, invite à profiter des grandes vacances pour lire de beaux pavés, ceux qu’on a envie de lire toute l’année mais qu’on n’a pas le temps de dévorer.

 

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Voici les règles de ce challenge :

– lire minimum un pavé d’au moins 600 pages (c’est déjà du bon pavé !) : roman, séries e romans ou recueil de nouvelles (de style « Omnibus ») ou une biographie par exemple.

– nos billets sont à publier avant le 15 octobre 2013, date de clôture du challenge (l’été est prolongé, qui dit mieux ?) et leurs liens devront être postés dans les commentaires du billet récapitulatif du challenge chez Brize.

– les inscriptions sont ouvertes jusqu’au 31 août ce qui vous donne le temps de vous décider !

 

Comme tout challenge qui se respecte, voici mon programme ! Rassurez-vous, je ne compte pas tous les lire mais je compte bien piocher dans cette liste de mes pavés à lire en priorité. Comme toujours, si une lecture commune vous fait envie, n’hésitez pas à me le dire, le livre en question pourrait devenir plus qu’une simple priorité !

 

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– Docteur Faustus de Thomas Mann (667 pages)

– Sépulcre de Kate Mosse (819 pages)

– Le Clan des Otori, Le Fil du Destin de Lian Hearn (683 pages)

 

 

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– Villette de Charlotte Brontë (711 pages)

– Labyrinthe de Kate Mosse (821 pages)

– Le Clan des Otori IV, Le Vol du Héron de Lian Hearn (739 pages)

 

 


– Vie et destin de Vassili Grossman (1173 pages)

– Histoire de Tom Jones d’Henry Fielding (1071 pages)

– Le temps où nous chantions de Richard Powers (1046 pages)

– Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski (989 pages)

 

Et vous, quel pavé comptez-vous lire cet été, sans forcément participer à ce challenge ? 

"Gatsby le magnifique" de Baz Luhrmann, d’après F.S. Fitzgerald

14 Juin

 

« Pour le moment, il nous échappe. Mais c’est sa importance. Demain nous courrons plus vite, nous tendrons les bras plus avant… Et un beau matin… Et nous luttons ainsi, barques à contre-courant, refoulés sans fin vers notre passé. »

L’intrigue


Deux ans après sa rencontre avec Jay Gatsby, Nick Carraway se remémore les circonstances qui ont conduit à faire de cet été 1922 un moment inoubliable. Il y raconte son histoire faite de folie, d’ivresse et de drames et y rend hommage à Gatsby, à jamais « magnifique ». Le tout New York se retrouve toutes les nuits à Long Island et plus particulièrement à West Egg dans la riche et irréelle demeure de Gatsby : tout le monde a son nom à la bouche et pourtant, personne ne le connait. Des rumeurs, plus extravagantes les unes que les autres, se répandent mais Gatsby ne va se confier qu’au plus banal de ses invités, Nick, et lui révéler le secret et le rêve de sa vie: ressusciter le passé.


Il m’aura fallu trois semaines pour digérer la dernière adaptation de Gatsby le magnifique de Baz Luhrmann et,  aux grands maux les grands remèdes, j’en ai profité pour lire le roman initial de Francis Scott Fitzgerald pour me réconcilier durablement avec Gatsby. Ce n’est pas faute d’avoir été emportée par la sobriété enfin retrouvée de la fin du film et, surtout par les derniers mots du narrateur en voix off, exactement à l’identique de ceux avec lesquels Fitzgerald a voulu finir son roman. Mais, pour ne pas nécessiter une digestion de trois semaines, il aurait fallu que le film dans son intégralité soit à la hauteur de sa fin et ne pas rattraper en catastrophe un spectateur déjà perdu depuis une heure et demi de projection et qui n’a qu’une seule envie : retourner chez lui.

 

En contraste, le roman de Fitzgerald aura su happé son lecteur dès le premier chapitre jusqu’au dernier avec un style exquis, aérien et, par touches, poétique où, par exemple, même la description d’une ville minière sordide en bordure de voie ferrée de la banlieue new-yorkaise prend des airs de mythe de la création où de la vallée des cendres émerge des formes humaines surgissant de la poussière pour y retourner aussitôt, des maisons, des cheminées enfumées et, en surplomb, comme la relique de cette ville sans Dieu, le motif du panneau publicitaire d’un ancien opticien qui observe la ville de ses yeux délavés comme une figure omnisciente et surplombante qui jauge les reins et les cœurs.

 

Après le motif de la vallée des cendres, c’est celui de la lumière verte au bout de la jetée de la demeure de Daisy que Gatsby essaye de toucher du doigt au loin qui nous donne un premier aperçu de son personnage avant d’être présenté en bonne et due forme au narrateur, Nick Carraway, lors de la célèbre « party ». La lumière verte, c’est peut-être ce qui est le plus réussi dans le film de Baz Luhrmann. Ce n’est pas pour rien que c’est par cette lumière que le film commence et se termine comme si elle était le symbole de la quête impossible de Gatsby pour rejoindre une partie de lui-même perdue au large, dans son passé, sans pouvoir jamais l’atteindre pour en même temps revivre le passé et vivre le présent. La lumière verte, c’est le temps qui défile, les occasions manquées, les souvenirs qui s’effacent et finalement soi-même qui, à chaque instant, change sans être jamais égal à soi-même. Ce n’est pas la quête idéaliste de son amour perdu et impossible aujourd’hui, la lumière verte est de bout en bout pour Gatsby une quête de soi qui ne peut pas aboutir parce qu’il ne peut pas toucher du doigt ce qui n’est pas à sa portée.

« J’ai eu le sentiment qu’il était en quête de quelque chose, une idée de lui-même peut-être, qui s’était égarée lorsqu’il avait aimé Daisy. Du jour où il l’avait aimé, sa vie n’avait plus été que désordre et confusion. Mais s’il pouvait refaire le chemin pas à pas, revenir à l’endroit précis où tout a été joué, il finirait par découvrir l’objet de sa quête… »

Quant à Gatsby lui-même, je crois que seul Leonardo Di Caprio a su comprendre l’extrême profondeur de son personnage en essayant tant bien que mal, dans un film qui ne lui en donnait pas la place, de le faire transparaître au spectateur critique. Ce n’est pas en montrant Gatsby sur fond de feu d’artifice qu’on le rend « magnifique », ni en le faisant rouler à fond de train dans une belle bagnole jaune. Justement, il aurait fallu faire de Gatsby l’éternel personnage qu’on voit au clair de lune, le bras tendu vers la lumière verte. J’aurais voulu que le film mette en valeur son personnage principal en maximisant l’aura mystérieuse qui s’en dégage pour que le spectateur crève d’envie de le percer à jour, de dévoiler son secret, pour, en fin de compte, en bon perdant, avouer forfait pour que Gatsby demeure un mystère à jamais.

Le roman de Fitzgerald réussit ça très bien grâce à un seul motif : le sourire le Gatsby, qui ouvre toutes les possibilités, qui nous laIsse indécis sur ses intentions.

« Il me sourit avec une sorte de complicité – qui allait au-delà de la complicité. L’un de ces sourires singuliers que l’on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassurent à jamais. Qui, après avoir jaugé – ou feint peut-être de jauger – le genre humain dans son ensemble, choisit de s’adresser à vous, poussé par un irrésistible préjugé favorable à votre égard. qui vous comprend dans la mesure exacte où vous souhaitez qu’on vous comprenne, qui croit en vous comme vous aimeriez croire en vous-même, qui vous assure que l’impression que vous donnez est celle que vous souhaitez donner, celle d’être au meilleur de vous-même. »

Un tel mystère laissé intact, cela aurait demandé un travail de profondeur sur les personnages et leurs situations et donc, Baz Luhrmann aurait dû faire des concessions et laisser de coté au moins une seconde sa maraude esthétisante qui, finalement, donne à l’ensemble un aspect beaucoup plus kitch et ridicule que véritablement beau. Cet esthétisme à tout va qui avait été justement dosé dans Moulin Rouge ou dans Roméo+Juliet par exemple frôle l’over-dose, d’où l’indigestion de trois semaines pour pouvoir enfin parler de cette adaptation en toute lucidité. J’imagine que ces images tapent-à-l’œil ont dû émerveiller certains, d’autres y ont même peut-être vu par pure mauvaise foi une sorte de symbolisme pour représenter la folie des années folles d’après guerre où, malgré la période de prohibition, tout semblait permis et où l’alcool coulait à l’infini. S’il fallait pointer dans ce film quelque chose d’horrible, ça serait sans conteste les scènes de fêtes qui sont à la limite du vulgaire et qui vous donne tout sauf l’envie d’y participer..

 

 

Et le grand amour de Gatsby, Daisy, dans tout ça ? Je n’avais pas fait le rapprochement en salles mais autant Carrey Mulligan m’avait enchantée dans An Education, autant dans Gatsby, elle a beau être exquisement belle, il lui manque un je-ne-sais-quoi pour incarner à la perfection Daisy qui semble avoir dans le roman une aura à la fois sensuelle et virginale, femme fatale et femme-enfant. Malgré l’une de mes scènes préférées où elle apparaît pour la première fois, celle des rideaux blancs qui virevoltent dans la pièce à l’arrivée de Nick, elle parait trop sérieuse, pas assez vivante. Daisy a dans mon esprit l’aspect du rêve et le contraste entre le souvenir lisse et innocent que Gatsby conserve d’elle et l’insouciance, l’irresponsabilité de sa vie mondaine et oisive de femme mariée est presque trop vivante pour correspondre à son image en papier glacé que Gatsby voudrait retrouver et faire revivre. Daisy est la vie même alors que c’est la nostalgie d’un passé où Daisy n’est plus ce qu’elle est aujourd’hui qui est au coeur du drame que vit Gatsby et auquel il ne pourra jamais se remettre. Je dirais donc que Carrey Mulligan n’a pas cette vitalité : elle est trop passive, trop dépressive pour exciter le désir comme Daisy semble le faire dans le roman où rien que son visage rayonne d’une aura particulière :

« Son visage était triste et tendre avec de beaux éclats, l’éclat du regard, l’éclat brûlant des lèvres – mais on percevait dans sa voix une note d’excitation dont les hommes qui l’ont aimée se souviendront toujours : une vibration musicale, une exigence impérieuse et chuchotée : « Ecoutez-moi, écoutez-moi ! », l’assurance qu’elle venait tout juste de vivre des instants radieux, magiques, et que l’heure suivante lui en réservait d’autres, tout aussi magiques et radieux. »

J’aurais voulu suivre le conseil du père de Nick Carraway rappelé au début du roman : « Réserver son jugement est une preuve d’espoir infini «  et l’appliquer à ma critique du film eu égard au roman d’origine mais je ne suis pas arrivée à espérer quoi que ce soit de ce film, si ce n’est d’attendre une meilleure adaptation, soit future, soit ancienne en regardant enfin l’adaptation que tout le monde semble louer avec Robert Redford.

 

Si selon Fitzgerald, « pour observer la vie sous le meilleur des angles, mieux vaut rester à la même fenêtre », je crois que pour apprécier ce film, mieux vaut multiplier les points de vue en allant lire des critiques meilleurs que la mienne par exemple chez Emma, chez Summerday ou chez’Anne-Marie Baron.

"La Triste fin du petit Enfant Huître et autres histoires" de Tim Burton

1 Nov
Tim Burton, La Triste fin du Petit enfant Huître et autres Histoires

L’univers de Tim Burton est à l’image des illustrations de La Triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires, ce petit recueil d’histoires grinçantes : à la fois noires et hautes en couleur. Cette juxtaposition chromatique me fait penser à l’affiche du film Ed Wood, à bien des égards l’un de mes Tim Burton préférés, un film en noir et blanc mais avec pourtant ce pull rose en couleur, d’autant plus burlesque et mis en valeur qu’il est le signe du goût d’Ed Wood pour se travestir en femme :
Affiche promotionnelle d’Ed Wood de Tim Burton.
Ce travestissement est justement le propre de l’univers de Tim Burton, qui se retrouve dans les thèmes abordés par ce recueil, où tout est échangé, déplacé et où se mêle en même temps et sur le même plan le noir et la couleur, la cruauté et la tendresse, le goût du macabre et de la poésie à tel point qu’on arrive plus à les dissocier, ce qui fait sûrement la beauté de ces histoires. 

 

Les personnages sont presque tous des figures enfantines ou assez minuscules et minimalistes pour rappeler le monde de l’enfance. Pourtant, comme en lendemain d’Halloween et en ce jour de la Toussaint, où les déguisements qui nous font retomber en enfance et les pensées noires des adultes dirigées vers les êtres chers qui nous ont quittées s’entremêlent  le monde de l’enfance n’est pas monochrome mais polymorphe à tel point que le monde de l’adulte n’est jamais loin. 

 

Toutes les histoires abordent le monde de l’enfance, par exemple par le biais de la relation (difficile) avec les parents, des premiers amours, de la cruauté des enfants entre eux ou de la différence et tout cela est vu sous un mode cynique, voire cruel, mais paradoxalement drôle. Chaque histoire, à un moment ou à un autre, nous arrache un sourire soit à cause d’un jeu de mot (la disposition en rimes aidant), soit d’une situation ou tout simplement de la chute de l’histoire. Certes, toutes les histoires finissent plus ou moins mal mais pourtant, étant courtes, elles sont toutes attachantes, elles nous saisissent, et les personnages à peine esquissés (qu’on retrouve par moment d’une histoire à une autre) nous attirent à eux et nous poussent à regarder leur histoire en face (même si elle n’est pas très drôle) et finalement à nous regarder nous-même en face.

 

En ce 1er novembre, à l’occasion de ce nouveau « Un mois, un extrait » (voir en fin de billet pour un petit rappel de ce que c’est), le rendez-vous mensuel que je vous propose depuis deux mois pour découvrir et me faire découvrir des oeuvres par petits morceaux choisis, Tim Burton est mis à l’honneur.

 J’aimerais vous donner envie de parcourir ce petit recueil de Tim Burton grâce à trois petites histoires qui m’ont plus touchées que les autres par leur profondeur ou par leur humour : « Stick Boy and Match Girl in Love » (« Brindille et Allumette amoureux »), « Stain Boy » (« Enfant Tache ») et « The Melancholy Death of Oyster Boy » (« La triste fin du petit Enfant Huître »), plus longue que les autres mais elle en vaut la peine !) et qui a donné son titre au recueil.

« Stick Boy and Match Girl in Love » (« Brindille et Allumette amoureux »)

Stick Boy like Match Girl, 
he liked her a lot.
He liked her cute figure, 
he thought she was hot.
Brindille aimait bien Allumette,
il l’aimait vraiment beaucoup,
il adorait sa jolie silhouette
et il la sentait chaude comme tout.
But could a flame ever burn
for a match and a stick ?
It did quite literally :
he burned up pretty quick.
Mais le feu de la passion peut-il être, 
entre une brindille et une allumette ? Eh bien
oui, à la lettre :
il flamba comme rien.

 

« Stain Boy » (« Enfant Tache »)

Of all the super heroes,
the strangest one by far,
doesn’t have a special power
or drive a fancy car.

De tous les héros, super cotés,
le plus étrange, et de beaucoup, 
n’a ni pou-
voir spécial, ni voiture tarabiscotée.

Next to Superman and Batman,
I guess he must seem tame,
But to me he is quite special,
And Stain Boy is his name.

A côté de Superman, de Batman et consorts, 
j’imagine qu’il parait sans panache, 
mais pour moi ils sort
de l’ordinaire, et son nom est Enfant Tache.

He can’t fly around tall buildings,
Or outrun a speeding train,
The only talent he seems to have
Is to leave a nasty stain.

Il ne sait pas voler parmi les buildings,
ni dépasser des trains roulant à toute berzingue :
il semblerait que son seul talent dingue
soit de laisser des taches cradingues.

Sometimes I know it bothers him,
that he’s can run or swim or fly,
and because of this one ability,
his dry-cleaning bill’s sky-high.

Parfois je sens que ça le contrarie
de ne pouvoir foncer sur terre, sur mer, en altitude,
et, du fait de son unique aptitude, 
ce qui monte jusqu’au ciel, c’est sa note de blanchisserie.

« The Melancholy Death of Oyster Boy » (« La triste fin du petit Enfant Huître »)


En voici une version lue (en anglais) et en image avec la voix de Drew Fuccillo (très agréable à écouter) et produire par « The End Audio » et Roman Chimientiread.

He proposed in the dunes,
they were wed by the sea.
Il fit sa demande au milieu des dunes,
près de la mer, ils devinrent femme et mari.

their nine-day-long honeymoon
was on the isle of Capri.

 

Neuf jours dura leur lune
de miel, sur l’île de Capri.
For their supper, they had one spectacular dish –
a simmering stew of mollusks and fish.
And while he savored the broth
her bried’s heart made a wish.
Au souper, ils eurent un plat grand luxe :
un ragoût mijoté de poissons et mollusques.
Pendant que du bouillon lui goûtait la saveur,
la jeune épousée fit un voeu dans son coeur.


That wish did come true – she gave birth to a baby.
But was this little one human ? 
Well,
maybe.

Ce voeu devin réalité : elle eut un bébé.
Mais ce bébé était-il humain ?
Eh bé,
on ne sait point.
Ten fingers, ten toes,
he had plumbing and sight.
He could hear, he could feel,
but normal ?
Not quite.
this unnatural birth, this canker, this blight
was the start and the end and the sum of their plight.

Dix doigts, certes, et dix orteils –
tuyauterie interne en état –  pour voir des oeils –
de quoi tâter – pour entendre, des oreilles – 
Mais normal, sans men-
tir, pas vraiment.
Cette naissance contre nature, cette plaie, cet ulcère,
fut leur calvaire.


She railed at the doctor :
« He cannot be mine.
He smells of the ocean, and seaweed and brine. »
La mère injuria le médecin :
« Je ne peux pas l’avoir porté dans mon sein.
Il sent l’océan, le varech, l’oursin. »


« You should count yourself lucky, for only last week,
I treated a girl with three ears and a beak.
That your son is half oyster
you cannot blame me.
… have you considered, by chance,
a small home by the sea ? »
« Vous pouvez vous estimer heureuse : il y a quelques
jours, j’ai soigné une petite avec trois oreilles et un bec.
Si votre fils est une huître
m’en blâmer serait cuistre.
Pour vous loger, avez vous envisagé, d’aventure,
un endroit près de la mère… genre saumure ? »
Not knowing what to name him,
they just called him Sam,
or, sometimes,
« that thing that looks like a clam. »
Everyone wondered, but no one could tell,
When would young Oyster Boy come out of his shell ?

 Ne sachant trop quel nom donner à cet apôtre,
ils l’appelèrent juste Luc,
ou bien, de temps à autre,
 » ce trucmuche aux allures de mollusque. »

Tout le monde se demandait, mais qui
aurait su dire, quand donc il quitterait sa coquille.


When the Thompson quadruplers espied him one day
they called him a bivalve and ran quickly away.
Les quadruplés Thompson, un jour l’apercevant,
le traitèrent de bivalve et s’enfuirent comme le vent.
One spring afternoon,
Sam was left in the rain.
At the southwestern corner of Seaview and Main,
he watched the rain water as it swirled
down the drain.
Un après-midi de printemps,
Luc fut laissé sous une pluie battant.
Au coin sud-ouest des rues Marine et Principale,
il voyait l’eau du ciel s’engouffrant en spirale
dans un égout dégoûtant.


His mom on the freeway
in the breakdown lane
was pounding the dashboard –
she couldn’t contain
the ver-risng grief
frustration
and pain.
Sur l’autoroute, celle qui l’engen-
dra, sa maman, sur la bande d’arrêt urgent
frappait le tableau de bord des poings
car supporter elle ne pouvait point
son chagrin crois-
sant – sa frustration, de surcroît -,
sa croix.


« Really, sweetheart, » she said,
« I don’t mean to make fun,
but something smells fishy
and I think is our son.
I don’t like to say this, but it must be said,
you’re blaming our son for your problems in bed. »

« Franchement chéri, dit-elle à son mari,
sans plaisanterie,
cette histoire ne sent pas bon, à vrai dire le poisson,
et je crains que ça soit le fiston.
Je regrette d’en parler, mais ce doit être dit :
coupable ne le tiendrais-tu pas de tes problèmes de lit ? »
He tried salves, he tried ointments
that turned everything red.
He tried potions and lotions
and tincture of lead.
He ached and he itched and he twitched and he bled.

Il se frotta de baumes et d’onguents, il s’oignit
n’y gagnant que gerçures.
N’épargna ni potions ni lotions ni
plomb en teinture
Il souffrit, il saigna, se couvrit d’écorchures. 


The doctor diagnosed,
« I can’t be quite sure,
but the cause of the problem may also be the cure.
They say oysters improve your sexual powers.
Perhaps eating your son
would help you do it for hours! »
Le docteur ce discours lui tint :
« Difficile d’être certain,
mais la cause du mal n’en est-elle pas la cure ?
On dit les huîtres accroître le pouvoir d’effilure :
manger votre fils
vous aiderait peut-être à […] des heures de file ? »
He came on tiptoe
he came on the sly,
sweat on his forehead
and on his lips – a lie.
 » Son, are you happy ? I don’t mean to pry,
but do you dream of Heaven?
Have you wanted to die ?
Le père vint à l’enfançon
d’une démarche de faux jeton, 
la sueur mouillant son front,
aux lèvres un discours félon :
« Mon fils, es-tu heureux ? Sans indiscrétion,
rêves-tu quelques fois des célestes régions ?
T’es-tu jamais dit : « Mourrons » ? »
Sam blinked his eyes twice
but made no reply.
Dad fingered his knife  and loosened his tie.
Par deux fois les yeux du marmot
cligna, mais ne pipa mot.
Papa palpa son coutelas,  dégrafa son paletot.
As he picked up his son,
Sam dripped on his coat.
With the shell to his lips,
Sam slipped down his troat.
Quand il soulève Luc de sa couche,
l’enfant sur ses habits en gouttes se répand.
Ca y est, la coquille est au bord  de la bouche
paternelle… hop ! Luc dans la gorge descend !
 They buried him quickly in the sand by the sea
– sight a prayer, wept a tear –
and were back home by three.
A cross of gray driftwood marked Oyster Boy’s grave.
Words writ in the sand
promised Jesus would save.
Près de la mer, vite ils l’enterrèrent, dans la profondeur
des sables – soupirèrent des prières, versèrent des pleurs – 
et furent à la maison rentrés avant trois heures.
Des bois flottant à la dérive, une croix : la tombe du petit
Enfant Huître. Tracée sur le sable, la promesse du salut
de Jésus.
 But his memory was lost with one high-ride wave.
Mais sa mémoire, à al première marée, se perdit.
Back home, safe in bed,
he kissed her and said,
« Let’s give it a whirl. »
A la maison, bien au chaud dans le lit,
le père embrassa la mère et dit :
« Allez, on essaie. On s’entortille et on frétille. »
« But this time » she whispered, « we’ll wish for a girl. »
« D’accord, dit-elle. Mais cette fois, prions une fille. »

 

          Sur cette note joyeuse, je vous laisse profiter de ce jour férié. Puisse votre journée de la Toussaint être moins triste que « la triste fin du petit Enfant Huître » malgré le temps pluvieux (du moins chez moi :() ! J’espère que ces extraits, dans le cadre de mon « Un mois, un extrait », vous auront plu. Rendez-vous dans un mois ! 😉

       Mon édition de La Triste fin du petit Enfant Huître et autres histoires de Tim Burton est l’édition spéciale dans la collection 10/18 avec une couverture toute noire, forcément. Elle vous coûtera EUR 9,63. La traduction de ces histoires, telles qu’elles sont présentées sur son blog,  est  celle de René Belletto et les illustrations de Tim Burton, himself. 🙂

Rappel : Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

Lire chaque mois un ou plusieurs extraits d’une oeuvre choisie par moi ou par vous ! Car, la subtilité, c’est que pouvez aussi en être les acteurs en m’envoyant tous les mois (et avant le premier du mois) un extrait de votre choix. Vous serez invitée à écrire votre propre article sur mon blog et ainsi de partager votre histoire et vos ressentis avec moi et toute la blogosphère ! 🙂

La démarche est a suivante : vous pouvez soit me faire parvenir vos idées par courriel (l’adresse est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit me laisser un commentaire en bas de ce billet pour ensuite poursuivre la discussion dans autres eaux, soit le faire publiquement ou par Message Privé sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soit vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion ! 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

#1 : L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI  C’est mon roman de Dostoïevski préféré et ce passage est vraiment central pour comprendre la relation difficile qui unie les deux personnages principaux : le prince Mychkine et Rogojine. 

 

#2 : Le Problème de la souffrance de Clive Staples Lewis. (exceptionnellement, sur ma page FB). On associe souvent C.S Lewis avec Narnia sans connaitre forcément ce qu’il a écrit à coté. Avec ce passage, c’est l’occasion de découvrir son style magnifique, légèrement lyrique parfois, mais accordé au thème qu’il aborde qui n’est ici pas la souffrance mais plutôt la « joie ».

"Le grand sommeil" de Raymond Chandler

19 Sep

« Je ne suis pas Sherlock Holmes. »
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil

 

« Le grand sommeil », c’est la mort qui plane au dessus de tous, partout et plus particulièrement à Los Angeles, lieu par excellence des intrigues, des affaires louches qui tournent mal. « Le grand sommeil », c’est aussi le gagne-pain du détective privé Philip Marlowe, cynique à souhait. Disparitions, meurtres sans meurtriers, Marlowe est là pour démêler ce genre d’affaires et, parfois, il le fait sans qu’on le lui demande, non sans les ennuis qui vont avec ! Il est engagé par le riche général Sternwood, presque à l’article de la mort, à a base pour une histoire de chantage. Il faut dire qu’il est plutôt mal entouré à commencer par ses propres filles Carmen et Vivian, une droguée et une alcoolique, toutes deux séductrices, toutes deux dangereuses…

 

Je dois avouer mon inculture presque complète en ce qui concerne les polars ou les romans policiers et ce n’est pas faute d’aimer ça ou d’en être curieuse. Disons que mon parcours un peu classique en prépa et avant dans mes lectures personnelles ne m’y a pas dirigé en premier et c’est bien dommage. J’ai rattrapé mon retard avec ce roman noir, un « classique » (même si je n’aime pas trop ce genre de terme qui, justement, met trop facilement dans une « classe », une case quelque chose) : Le Grand Sommeil de Raymond Chandler.

 

Tout m’a amenée à lire ce petit bijou du genre, très incisif mais aussi très désabusé sur la nature et les relations humaines. A la lecture, j’ai eu comme un sentiment de « déjà-lu » et ce n’était pas sans raison puisque je me suis souvenue avoir traduit et commenté l’un des passages du premier chapitre en khâgne où Marlowe, dont le nom est inspiré par le dramaturge élisabéthain et rival de Shakespeare, rencontre dans une serre le général Sternwood qui lui explique sa mission et ses honoraires. L’atmosphère est d’emblée délétère, malsaine et il faut dire que le Grand Sommeil insiste sur la noirceur des caractères, sur la malhonnêteté dans les milieux les plus variés comme si le cliquant d’une ville comme Los Angeles n’était que la belle vitrine qui camouflait une arrière-boutique en chacun de nous assez sale.

« Quand vous êtes sorti une fois de la légalité, vous l’êtes pour longtemps.Vous croyez que ce n’est pas un joueur, Je pense que c’est un pornographe, un maître chanteur, un casseur de voitures volées, un tueur par personnes interposées et un mec qui achète les flics malhonnêtes. Il est exactement ce qui lui plaît, quelque soit l’étiquette accrochée au gâteau. N’essayez pas de me raconter des histoires de combinards à l’âme pure. Ça ne colle pas avec le reste. »

La scène au casino.

Pourtant, ce pessimisme général, dont Marlowe est le principal porte-parole, n’est jamais mis au service d’un discours moralisateur, comme si la morale elle-même était fausse. C’est plutôt le franc-parler des personnages, voire leur vulgarité, qui permet de passer outre ce genre de banalités pour faire du Grand Sommeilune peinture acerbe mais aussi très vraie, sans fard de ce que peut être une société moderne. Au premier abord, j’ai dû m’habituer au niveau de langue employé, qui souvent vole assez bas, mais à vrai dire, on se prend au jeu, on reconnaît – ou plutôt on imagine – parfaitement le parler du détective et du flic américain (à l’aide des films que j’ai pu voir avant comme certains Hitchcock), très désinvolte, légèrement méprisant mais surtout particulièrement blasé de son univers et de ce à quoi il doit être affronté dans son métier.

 

Ce franc-parler et les grossièretés en tout genre ont quelque chose de très réaliste ce qui participe, comme un ressort, à l’humour du livre. N’allez pas croire parce que c’est un roman noir, aux situations parfois glauques, qu’on en vient à déprimer pendant plus de trois-cent pages ! Il faut dire que je suis bon public mais j’ai beaucoup ri en lisant Le Grand Sommeil grâce au personnage de Marlowe et à tous ceux qui le côtoient qui sont tous très haut-en-couleur. Chandler allie cynisme et humour noir dans des situations assez noires et pourtant, ça permet de ne pas trop prendre au sérieux certaines situations, de leur trouver de l’ironie. Cela tient selon moi à la qualité des dialogues que je trouve vraiment excellents, de toute beauté au détriment des narrations qui parfois m’ont un peu ennuyée. Ce n’est pas pour rien que les Américains réussissent si bien au cinéma ! Ça fusse, c’est plein d’esprit et on est jamais déçu des échanges entre les personnages qui paraissent toujours très vrais. Il y a un peu aussi une vaine théâtrale qui est légèrement présente à tel point les dialogues sont biens orchestrés sans que cela sonne faux ou trop enjolivé.

 

Je vous ai retenu un passage en particulier, qui n’est pas un dialogue mais où Marlowe sauve Vivian Sternwood d’une tentative de vol à la sortie d’un casino où elle avait gagné le pactole ! Celui-ci m’a fait beaucoup rire mais il y en a des centaines comme ça !

 

« – Mets le sac à tes pieds, môme, lui dis-je. Doucement, prends ton temps.
Il se baissa. Je bondis et l’affrontai avant qu’il se relève. Il se redressa contre moi en respirant fort. Ses mains étaient vides.
– Dis moi que je ne m’en tirerai pas comme ça, fis-je.
Je me penchai et cueillis son revolver dans la poche de son pardessus.
– Il y a toujours quelqu’un pour me donner un feu, lui dis-je. J’en trimbale tant que je marche tout courbé. Casse-toi. »

 

Avec cet humour acerbe, c’est peut-être aussi pour ça que ce roman de Chandler tient de la satire sociale. Les préjugés sont en grande partie absents sauf peut-être à l’encontre du milieu judiciaire où quelques passages insistent avec peu de nuances sur la malhonnêteté presque intrinsèque des policiers qui cachent par exemple aux journaux et au public les vrais éléments d’une affaire de meurtre. A mon sens, on ne peut pas tout dire dans ce genres d’affaires, ça serait contre productif, c’est presque nécessaire alors que c’est présenté par le narrateur comme une énième crapulerie des gens du métier. Cependant, même si ce genre de préjugé est vraiment un leitmotiv qui sous-tend le livre, cet appel facile aux idées reçues est plutôt ponctuel ce qui permet aussi de lui éviter encore une fois de tomber dans trop de moralisation. Les vices de la société, quand ils sont cités, sont présentés comme des évidences, des faits qu’il faut considérer sans chichi qui ne prouvent rien en eux-mêmes mais qui, pourtant, laissent le lecteur libre de les juger comme bon lui semble.

 

Le réalisme du Grand sommeil, je l’ai retrouvé aussi dans le développement du personnage principal. L’ironie du sort veut que Marlowe soit désormais une figure presque mythique du détective privé, incarné au cinéma par Humphrey Gogart (rien que ça!) et pourtant, Marlowe est aussi désabusé avec lui-même et sur son métier qu’avec les autres. Il ne fait surtout pas du détective quelque chose de romanesque, d’idéalisé comme si le détective privé devait être forcément propre sur lui et, en plus de ça, un génie !

« Je ne suis pas Sherlock Holmes ou Philo Vance. Je ne m’attends pas à ramasser une pointe de stylo cassée sur des lieux que la police a examinés et à reconstruire l’affaire à partir de là. Si vous vous imaginez qu’il y a des détectives qui gagnent leur vie avec ce système-là, alors vous ne connaissez pas beaucoup les flics. Ce ne sont pas des choses comme ça qu’ils laissent passer, à supposer qu’ils laissent vraiment passer quelque chose quand ils en ont réellement la liberté de travailler. Mais s’ils le font, c’est forcément quelque chose de moins net et de plus vague. »

Marlowe & « Boucle d’Ange »

Marlowe est comme les autres. Il se présente lui-même comme quelqu’un qui fait ça pour de l’argent, ouvert aux propositions les plus offrantes et aux pots-de-vin quand il s’agit de sauver la réputation d’une famille de rois du pétrole. Il se saoule de temps ne temps et ne se prive pas pour embrasser à peu près tout ce qui bouge qu’il y ait « ouverture » ou pas !

 

Le grand sommeil a été pour moi une lecture très agréable, très différente de ce que j’ai l’habitude de lire ce qui n’est pas plus mal ! J’ai particulièrement aimé les toutes dernières pages qui en somme expliquent le titre du roman, comme si cette sombre affaire, où s’entre-mèlent au moins trois intrigues, n’était qu’une réflexion sur ce qu’est la mort. Quand elle arrive, elle est la seule à nous rendre enfin tous égaux contrairement aux belles intentions de la justice sociale. En voici l’extrait :

 

« Qu’est-ce que ça peut faire où on vous met quand vous êtes mort ? Dans un puisard dégueulasse ou dans un mausolée de marbre au sommet d’une grande colline ? Vous êtes mort, vous dormez du grand sommeil… vous vous en foutez de ces choses-là… le pétrole et l’eau, c’est de l’air et du vent pour vous. .. Vous dormez, vous dormez du grand sommeil, tant pis si vous avez eu une mort tellement moche… peu importe où vous êtes tombé… Moi, je faisais partie des choses moches, maintenant. »

 

 
Lu à l’occasion du Challenge « Thrillers & Polars »
Disponible sur Amazon en folio : EUR 5, 65