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« Les Femmes savantes » ou « Molière l’apéro rock » (Lyon)

25 Mai
Les Femmes savantes ou Molière l'apéro rock (Mise en scène : Maïté Cussey)

Les Femmes savantes ou Molière l’apéro rock, comédie musicale mise en scène par Maïté Cussey (Crédits photo : P. Solli)

©Robert Benz

Les Femmes savantes ou Molière l’apéro rock est une comédie musicale d’après Molière mise en scène par Maïté Cussey et interprétée par la troupe du Théâtre d’Ishtar.

Avec Adeline Arénas, Robert Benz, Sindy Carray, Ariane Chaumat, Benjamin Contamina, Maïté Cussey, Jean-Baptiste Maino, Coralie Mangin, Claire Martin, Ulysse Minéo, Cindy Philippon et Lisa Romestant.

 

L’intrigue

Dans l’Amérique des années 60, Henriette sort avec Clitandre. Lorsqu’ils envisagent de se marier, les problèmes commencent. La mère d’Henriette, Philaminte, refuse catégoriquement le mariage. Elle veut fiancer sa fille à un intellectuel et lui impose le charismatique Trissotin, rockeur sexy à ses heures. De son côté, Clitandre rencontre aussi de nombreuses difficultés : la tante d’Henriette a craqué pour lui et ne veut pas entendre ses appels à l’aide. Le jeune homme doit également faire face à Armande, la sœur d’Henriette… qui est aussi son ex-fiancée !

Dans la maison, les seuls soutiens des amoureux sont Martine, la serveuse impertinente et Chrysale, le papa bienveillant mais peu enclin à contrarier sa femme. Autant dire que leurs chances sont minces… Et que penser de l’étrange Vadius ?

Au milieu du brouhaha, seule Ariste pourrait empêcher la catastrophe. Mais il faut faire vite ! Le mariage arrangé se rapproche…

Dans cette comédie musicale colorée et déjantée, les seuls mots d’ordre sont : love, cupcakes and rock & roll !

Lyon est définitivement un endroit où il fait bon vivre et surtout bon de sortir. Changement d’échelle : après le Festival de Caves au début du mois, je suis passée d’une pièce minimaliste à une seule voix (Du Domaine des Murmures avec Léopoldine Hummel) à un projet ambitieux, original et hétéroclite porté par pas moins de dix comédien(ne)s bourré(e)s de talent pour chanter et se produire sur scène et trois musicien(ne)s, parfois figurant(e)s ou carrément  pour l’un d’entre eux occupant l’un des rôles titre. Broadway s’est juste invité à Lyon, vous ne le saviez pas ?

La troupe (presque) au complet ©Mathias Roqueplo

La troupe du Théâtre d’Ishtar (presque) au complet (Crédits photo : © Mathias Roqueplo)

Cette comédie musicale rock est à mi chemin entre Cabaret et Hair. Molière n’aura jamais été aussi actuel vu l’ambiance de douce revendication moins sexuelle qu’individuelle qui souffle dans Les Femmes savantes revisitée dans les années 60. Si comme moi, vous ne vous cachez pas d’écouter encore et plus que jamais Bob Dylan, Joan Baez, Johnny Cash, les Beatles ou les Doors alors Molière l’apéro rock ne pourra que vous faire gigoter sur votre siège, taper du pied en rythme et vous faire sortir (bien malgré vous) deux-trois cris de groupie. Elvis Presley n’a qu’à bien se tenir.

Et là, vous vous mettez à douter. N’est-ce pas un peu risqué de catapulter dans les années 60 les personnages de Molière et en plus d’ajouter à l’intrigue des intermèdes musicaux quitte à ralentir le rythme de l’action ? Et que viennent faire ces cupcakes dans la scénographie, bien alléchants sur scène et déjà sur l’affiche ?

Soit vous êtes un littéraire, un dur, plus molièresque que Molière et dans ce cas, descendez de vos grands chevaux (ou plutôt de vos motos, vu l’atmosphère rock’n’roll), le beau langage de Molière et le texte versifié sont joliment respectés sauf adaptations et clins d’œil à la sauce sixties pour le public. Et le tout est largement abordable ! Il y a bien quelques mini-couacs vu que certains personnages masculins jouées par des demoiselles sont appelés une fois ou deux « mon frère » (surement pour respecter la rime) mais l’imagination du spectateur pourvoie.

Maïté Cussey (metteure en scène et jouant le rôle de Philaminte)

Soit vous ne connaissez Molière et la pièce ni d’Ève, ni d’Adam (ça existe, je vous jure) et dans ce cas, quelle beau chemin de traverse pour vous familiariser avec cette histoire d’amour contrarié sur fond d’autorité familiale et de revendication féminine. Le brio de la mise en scène de Maïté Cussey, étudiante en M2 LARP (Lettres Appliquées à la Rédaction Professionnelle) à Lyon II, est justement de proposer un projet ni élitiste, ni formaté par une certaine mouvance contemporaine au théâtre qui confond parfois performance scénique et orgie ou hystérie organisées sans souci du moindre texte. Le choix de Maïté sert à prouver qu’on peut aimer (faire) jouer du théâtre dit « classique » (Molière, Shakespeare et les autres has-been) tout en faisant du théâtre contemporain de qualité, sans tomber dans la caricature.

Même en tant que projet étudiant, soutenu notamment par le service culturel de l’université Lumière Lyon II ou le CROUS, ne vous imaginez pas un spectacle de fin d’année rapidement bricolé et fait pour rendre seulement fier papa, maman et ses proches. La troupe du Théâtre d’Ishtar a de l’avenir et la mise en scène des Femmes savantes est à mes yeux digne d’une production professionnelle. A bon entendeur…

Les Femmes savantes en répétition

Pour avoir assisté à plusieurs répétitions et à la première, j’ai d’ailleurs été assez impressionnée par la qualité à la fois du jeu et du niveau musical des comédiens et des comédiennes. Je pense qu’une expérience comme celle-là aussi complète devait être pour certains une première. Ce n’est pas souvent qu’on peut assister à la fois à un concert avec des musiciens et des chanteurs qui tiennent plus que la route (voire de véritables rockstars !) et à une pièce de théâtre où chaque comédien(ne) a su se différencier pour que son personnage touche le public d’une manière ou d’une autre. Comme souvent chez Molière, les personnages sont souvent nombreux ce qui pourrait rapidement mettre la pagaille sur scène mais chaque personnage a en quelque sorte sa scène ce qui permet assez facilement de s’identifier, de compatir ou de comprendre les relations entre les personnages.

Henriette (Ariane Chaumat, assise) & Armande (Coralie Mangin, debout) (Crédits photo © P. Solli)

Vadius (Adeline Arénas) & Trisottin (Benjamin Contamina), backstage le Jour J

Vadius (Adeline Arénas) & Trisottin (Benjamin Contamina) en coulisse le Jour J

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si, à titre personnel, je me sens pleine d’empathie pour le personnage d’Armande (joué par Coralie Mangin), le plus nuancé de la pièce, c’est surement le personnage de Bélise (Cindy Philippon) qui vous fera le plus rire ! C’est d’ailleurs assez dommage que l’entrée de son personnage (et en particulier la chanson qui l’accompagne) n’ait pas été applaudi à la première alors que sa prestation a été aussi bonne que les autres. « Public du jeudi », diront certaines dans les coulisses… Pourtant, le public a été plutôt réactif, voire électrique pour certaines chansons comme Hello, I love you chantée par Benjamin Contamina (Trisottin), l’une des meilleurs reprises des Doors que j’ai entendu ou encore Satisfaction interprétée avec passion par Adeline Arénas (Vadius) que je ne présente plus sur ce blog. Big up d’ailleurs aux musiciens qui les accompagnaient (Lisa Romestant, Robert Benz tous deux guitariste et bassiste du groupe de rock lyonnais Les Barjoks et Jean-Baptiste Maino à la batterie), on sent beaucoup d’alchimie et de complicité entre eux ce qui d’ailleurs vaut pour toute la troupe.

De gauche à droite : Armande (Coralie Mangin), Bélise (Cindy Philippon), Trisottin (Benjamin Contamina) et Philaminte (Maïté Cussey) (Crédits photo : P. Solli)

Niveau scénographie, j’ai vraiment été conquise par le travail de la metteure en scène. Bar, tables rondes, chaises rouges vintage, estrade pour les musiciens donnent le ton. On se croirait dans un resto américain digne de Pleasantville. Mais surtout, les cupcakes fournis par le salon de thé lyonnais LITTLE (Metro A : Ampère-Victor Hugo), sont plus qu’appétissants. Et pour avoir joué les hôtesses pour accueillir le public, j’ai même pu en goûter un avec l’aide d’amis après la représentation. Parce que le Théâtre d’Ishtar est aussi généreux autant sur scène qu’en promo vu que des cupcakes ont été gagnés avant et le jour de la représentation. Comme dans Charlie et la chocolaterie, il fallait trouver un fameux ticket d’or dans son programme ! De Willy Wonka à Molière, il n’y a qu’un pas.

Plus que les cupcakes, j’ai été touchée par le thème féministe naturellement évident grâce à l’ancrage dans les 60’s et qui ne m’a paru être une interprétation plus qu’acceptable de la pièce de Molière. Si comme les précieuses, les femmes savantes n’ont pas toujours bonne presse dans ses pièces, il s’agit tout de même d’une chance non négligeable pour du théâtre classique d’avoir une distribution en majorité féminine. Sachez d’ailleurs qu’une chanson sur les Femmes savantes a été écrite pour l’occasion et je peux vous assurer qu’elle reste dans la tête ! A quand le single, les filles ?

© Mickaël Capra

Cette mise en scène a l’air alléchante, n’est-ce pas ? Si vous avez râté la première session du 22 et 23 mai, sachez que la troupe a prévu d’autres représentations ! Rendez-vous le 05 mai à 20h30 à la MJC de Bron. Plus de détails pratiques sur la page de l’événement sur Facebook si vous êtes dans les environs ce jour-là. D’autres dates sont prévues, pour rester informer, n’hésitez pas à les suivre sur Facebook et sur Twitter.

« Du Domaine des Murmures » (Festival de Caves – Lyon)

1 Mai
9e édition du Festival de Caves  (26 avril-27 juin 2014) à Besançon et ses alentours, Lyon, Grenoble et dans une soixantaine d'autres villes.

9e édition du Festival de Caves (26 avril-27 juin 2014) à Besançon et ses alentours, Lyon, Grenoble et dans une soixantaine d’autres villes.

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Affiche du Festival de Caves

Du Domaine des Murmures est une adaptation mise en scène par José Pliya d’après le roman de Carole Martinez (Prix Goncourt des Lycéens 2011).

Portée par la comédienne, chanteuse et musicienne Léopoldine Hummel.

Dans le cadre de la 9e édition du Festival de Caves  (26 avril-27 juin 2014), créé et dirigé par Guillaume Dujardin  (Compagnie Mala Noche – Besançon).

 

On s’amuse bien à Lyon !

Il n’y a pas à dire, la nuit presque tombée (ce qui est tout relatif, vu la saison), Lyon regorge d’occasions de profiter de créations artistiques qui sortent de l’ordinaire.

Jacco Gardner @Marché Gare (Lyon) - 28 janvier 2014

Jacco Gardner @Marché Gare (Lyon) – 28 janvier 2014

Si ces derniers mois, j’ai principalement multiplié les concerts à Lyon des plus intimistes (ambiance cosy avec Jacco Gardner, la fraîcheur de sa musique soul de la sublime Lauren Housley ou le bluesman Paulo Furtado alias The Legendary Tigerman lors d’un concert surprise chaud bouillant mais intime dans la cave d’un pub sur les pentes de la Croix-Rousse) aux plus énormes (le rock’n’roll tant attendu du Black Rebel Motorcycle Club, l’un des meilleurs concerts de ma courte vie avec bis repetita Paul Furtado au Marché Gare quelques jours avant le concert surprise ou encore Kitty, Daisy & Lewis pour la Foire de Lyon), les sorties théâtrales se sont faites malheureusement plus rares.

Peter Hayes - BRMC @Le Radiant (Lyon) - 10 février 2014

Peter Hayes – BRMC @Le Radiant (Lyon) – 10 février 2014. Parce qu’un concert de rock peut aussi avoir des moments intimistes acoustiques en rappel.

Huit mois à Lyon et seulement (mais pas des moindres) Cendrillon au TNP, un petit bijou mis en scène par Joël Pommerat et une adaptation jouée en anglais et surtitrée en français du Julius Caesar de Shakespeare par une troupe étudiante de l’ENS, mis en scène par Simmi Singh avec une très jolie scénographie. Voilà, c’est un peu pauvre comparée à l’orgie musicale juste au-dessus.

Qu’à cela ne tienne, j’ai profité hier soir de l’escale lyonnaise du Festival de Caves depuis le week-end dernier pour rattraper mon retard en la matière et fêter la fin des exams mais surtout la fin momentanée de ma vie sociale pour cause de rédaction de mémoire de Master. Quoi de mieux que d’aller entendre l’histoire d’une recluse quand, un mois durant, on va soi-même se couper un peu du monde. En mai, fais ce qu’il te plait ? C’est cela oui.

Le Festival de Caves

J’ai entendu parlé du Festival de Caves plus ou moins l’été dernier grâce à un ami qui m’avait partagée son expérience, participant pour la 8e édition depuis la régie à la création et aux représentations à Besançon de Mlle Else d’après Arthur Schintzler, mise en scène par Charly Marty et avec Anais Mazan qui en a adapté le texte. De ce qu’il m’en avait parlé et vu ce qu’on voit et ce qu’en dit la comédienne dans la vidéo ci-dessus, je pense que ça m’aurait plu !

Guillaume Dujardin

Guillaume Dujardin

J’avais été vraiment enthousiasmée par ce projet génial de jouer dans des lieux souterrains devant un petit public pour l’ambiance bien sûr mais aussi pour ce que ça a d’insolite, de nouveau et de risqué scéniquement. Après tout, c’est un pari de choisir une unité de lieu aussi peu commune. Un peu comme les églises, la pierre et les caves voûtées ont une telle résonance que ces lieux hors-normes ont l’air fait pour le théâtre. Et pourtant, il fallait en avoir l’idée, « l’intuition », ce qui a été le cas de Guillaume Dujardin et de sa compagnie Mala Noche en 2005.

Depuis neuf ans, le festival est depuis longtemps sorti de l’ombre et du succès local autour de Besançon pour gagner un plus large public de Strasbourg à Montpellier en passant par Lyon/Villeurbanne, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Lille et même Paris ! Ce projet ambitieux n’en est pas moins humain : toucher à petite échelle un public certes élargi par la tournée française et européenne (le festival passant par Genève) mais restreint par la capacité des caves à pas plus de vingt personnes. Sans trahir, je l’espère, l’esprit du festival, je le vois à la fois comme un projet démocratique et privilégié en offrant dans les grandes villes une autre forme de théâtre et en rendant accessible tout bêtement le théâtre dans les petites villes et les villages là où il n’y en a pas forcément.

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Ce qui me touche donc, c’est l’approche différente au spectateur et la proximité créée entre les comédien(ne)s et nous. Pas de vilain « quatrième mur » ce qui est d’autant plus intéressant entre quatre murs dans un lieu aussi clos qu’une cave. Il s’agit presque de s’immerger, d’oublier qui joue et qui regarde pour mieux profiter pendant plus ou moins une heure de la beauté de la langue, d’une ou plusieurs voix et des histoires secrètes, des tabous qui sont contés.

Du Domaine des Murmures

« Ce château n’est pas de paroles déclamées sur le théâtre par un artiste qui userait de sa belle voix posée et de son corps entier comme d’un instrument d’ivoire. Non, ce lieu est tissé de murmures, de filets de voix entrelacées et si vieilles qu’il faut tendre l’oreille pour les percevoir. Des mots jamais inscrits, mais noués les uns aux autres et qui s’étirent en un chuintement doux. »

Léopoldine Hummel

Léopoldine Hummel

C’est presque par ces mots que la prestation de Léopoldine Hummel s’est achevée après un monologue intense (et je crois, éprouvant pour elle). Parmi le public et munie du micro à pied qui l’avait accompagné dans le minuscule angle de la cave pendant une heure devant nous, la comédienne raconte comme une narratrice d’une voix presque impersonnelle l’histoire résumée d’Esclamonde qu’elle a incarné si passionnément. Toutes les clés sont ainsi données, heureusement à la fin, pour mieux reconstruire ce que le monologue a dit sans dire. Plus que tout, on comprend mieux à quel point l’histoire d’Esclamonde, qui peut paraître bien éloignée de notre vécu, de notre monde et de notre façon de parler, résonne en nous de façon presque universelle. Esclamonde est réduite à une voix mais aussi à « une borne entre les mondes » et les âges :

« Écoute !
Je suis l’ombre qui cause.
Je suis celle qui s’est volontairement clôturée pour tenter d’exister.
Je suis la vierge des Murmures. A qui toi peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l’espoir des emmurées. »

John-Everrett Millais, St agnes Eve (c. 1850) - Tate Gallery

John-Everrett Millais, St Agnes Eve (c. 1850) – Tate Gallery

Une jeune fille qui dit « non » devant l’autel, se tranche l’oreille pour montrer à quel point elle est déterminée à refuser un mariage forcé voulu par son père et qui, paradoxalement, gagne sa liberté par la réclusion en se donnant à Dieu. Vierge et pourtant « miraculeusement » mère… Coupée du monde et pourtant ne pouvant s’en défaire, tant, depuis la fénestrelle de son réclusoire, elle doit supporter les suppliques des pèlerins.

« Très vite, j’ai remarqué qu’on parlait surtout à mon oreille mutilée, qu’on se penchait ostensiblement vers elle pour y lâcher ses phrases. Mon oreille absente avait la profondeur d’un puits, on y jetait pêle-mêle tout ce que Dieu devait savoir. »

J’ai eu l’impression d’assister à un fait-divers médiéval ou à une version de Peau d’Âne qui aurait mal tourné. Ainsi placés devant Léopoldine Hummel, on était presque mis malgré soi en position de pèlerin : un de plus ou plutôt un de trop où, prise de faiblesse, Esclamonde se serait mise à déballer son histoire, à parler à son père, à son fils, à Dieu comme si elle nous prenait pour eux. C’est la parole qui devient libératrice, même si c’est par flot parfois chaotique, qui place Esclamonde entre la raison et la folie.

J’ai vraiment été touchée par le jeu tout en finesse de Léopoldine Hummel qui, toute menue, a su transmettre la force et la voix intérieures de son personnage. Après la lecture du résumé avant d’y assister, j’avais peur du traitement du thème religieux pas pour lui-même mais pour son décalage et son sérieux et, pourtant, j’ai trouvé que la comédienne rendait très humaine et actuelle cette histoire de vierge-mère. Comme l’écrit le metteur en scène José Pliya, « ce qui me séduit dans Du domaine… c’est l’idée d’explorer la relation des filles aux pères, des mères aux fils »  En ce sens, le thème religieux devient presque une métaphore, un langage particulier pour parler d’une relation complexe et pleine de non-dits et de tabous.

Léopoldine Hummel (Esclamonde)

Il y avait aussi un jeu assez astucieux sur les voix notamment grâce au micro dont la présence au début m’a pourtant rendu un peu perplexe. Après tout la voix douce de la comédienne a su aussi devenir plus forte voire violente quand il le fallait. Pourquoi un micro ? Visiblement, il s’agit de jouer sur la polyphonie du titre « du domaine des murmures » comme une double adresse : celle du lieu de réclusion et de la voix de la récluse qui murmure ses choix et ses dilemmes. En transformant la voix de la comédienne, le micro a permis de traduire la voix intérieure sous toutes ses formes du personnage.

La scénographie épurée et la musique médiévale présente à la fois pour introduire et conclure le monologue avant la prise de parole de la « narratrice » parmi le public m’a semblé intéressante même si la voix de Léopoldine Hummel seule aurait presque suffi. Par contre, j’ai été plutôt conquise par le jeu avec les pierres et les cailloux qui jonchaient la cellule imaginaire d’Esclamonde surtout quand elle les égraine ce qui donne bien l’impression de façon concrète et simple que le temps passe.

Contraintes du lieu oblige, j’avoue avoir été un peu déçue par la cave en elle-même : j’aurais adoré voir cette performance dans une vraie cave voûtée et peut-être plus coupée des bruits de la rue même si se retrouver dans la cave du café « Le Moulin joli » (place des Terreaux) a visiblement enchanté d’autres spectatrices vu ce que j’ai pu entendre en descendant les escaliers.

Je regrette aussi le peu de réactivité du public. C’est un point de vue tout relatif de quelqu’un qui est généralement comme on dit « bon public ». J’ai vraiment senti des pointes d’humour, d’ironie et de cynisme qui égaillaient le sérieux du propos et donnaient aussi à penser. Par exemple, la sérénade du fiancé éconduit chanté par la comédienne, l’évocation des ébats des amants Bérengère et Martin qui lui offrent de la délivrer ou encore l’histoire de la fraise des bois qui lui rappelle sa mère (« Une fraise des bois ! L’infini à portée de bouche ! ») m’ont fait rire et sourire, ce qui visiblement n’était pas le cas de tout le monde…

« Mais de mon désir, nul ne se souciait. Qui se serait égaré à questionner une jeune femme sur son vouloir? Paroles de femme n’étaient alors que babillages. Désirs de femme dangereux caprices à balayer d’un mot, d’un coup de verge. »

Forcément, ce fait-divers médiéval a beaucoup de résonances féministes mais j’ai été agréablement surprise par la variété du public choisi : sur une quinzaine de personnes, il y avait autant de jeunes femmes que des hommes d’âges mûrs et aussi des adolescentes preuve que le Festival de Caves sait rassembler les générations.

Affiche 2012 du Festivak de Caves

Affiche 2012 du Festival de Caves

Du Domaines des Murmures est encore à Lyon jusqu’à aujourd’hui et en tournée dans toute la France : Grenoble (2, 3 & 4 mai), Bordeaux (14 mai), Toulouse (15 mai) ou à Besançon (19 & 20 mai). Réservations : 03.81. 61.79.53

Programmation complète sur le site du Festival de Caves.

Merci à Thomas, le jeune homme de l’ombre derrière la régie, qui m’a conseillé d’aller voir Du Domaine des murmures. 😉

« Cymbeline » de William Shakespeare

29 Déc
Edward BURNE-JONES, Sleeping Beauty (1871, Manchester Art Gallery)

Edward BURNE-JONES, Sleeping Beauty (1871) – Manchester Art Gallery

« Fear no more the heat o’ the sun,

Nor the furious winter’s rages; »

Cymbeline, Acte IV, Scène 2.

La Belle au Bois Dormant, c’est un peu La Bouteille à la Mer ces derniers temps. Que je vous rassure, depuis Being Human (qui a eu son petit succès après la publication de cet article, Aidan Turner fait toujours ce petit effet-là), j’ai lu, vu et découvert bien d’autres choses mais faute de temps, je n’ai pas pu vous le partager comme d’habitude. Peut-être aussi que je n’en ai pas ressenti le besoin et qu’il me fallait faire une (énième ?) pause pour profiter du quotidien.

Mais ça, c’était avant Cymbeline de notre ami William Shakespeare. (Shakespeare est un remède à tous les maux, c’est bien connu.)

Imogen, Cymbeline

Imogène (Illustration du Shakespeare’s Heroines d’Anna Jameson)

D’autant plus que la vraie Belle au Bois Dormant dans cette histoire, c’est Imogène, l’héroïne de la pièce. Pas littéralement, je vous rassure, sinon il n’y aurait pas eu beaucoup d’action pour du Shakespeare si tout le monde avait été endormi. (Et on se serait ennuyé ferme.) C’est juste l’image que j’ai eu d’elle durant l’une des scènes cruciales de la pièce où elle dort. Au lieu de lui voler un baiser telle Aurora, Iachimo, une espèce  de Don Juan beau-parleur et manipulateur,  va lui subtiliser un bracelet qui va servir de prétexte pour un long quiproquo sur la perte ou non de la vertu de la damoiselle et de son infidélité puisqu’elle s’est mariée à Léonatus Posthumus et, comble du scandale, sans le consentement de son roi de père, Cymbeline.

Dudley, Robert, fl. 1858-1893, printmaker. Posthumus: "My queen! My mistress! O lady weep no more!" Cymbelin …

Posthumus & Imogène : Gravure de Robert Dudley (1858-1893,) 
Posthumus: « My queen! My mistress! O lady weep no more! » in Cymbeline

Orphelin et pupille du roi (donc sans le sous !), Posthumus n’est certes pas le parti idéal pour l’héritière du royaume de Bretagne depuis la disparition de ses deux frères aînés qu’elle n’a jamais connu. La force de caractère d’Imogène va valoir pour Posthumus, tel Roméo,  un bannissement ad vitam aeternam. Enfin, presque.  Sinon, ça ne serait pas drôle. 

Vous allez me dire, qu’est-ce qui m’a pris de lire une pièce si peu connue de Shakespeare alors que j’aurais pu continuer dans ma lancée après Richard III avec Le marchand de VeniseLa Tempête ou Le Conte d’Hiver (c’est de saison, en plus) que j’avais sous la main ?

Tout est parti par fangirling intelligent de la vidéo d’une interview de Tom Hiddleston (plus à présenter) qui, en bon homme parfait shakespearien, a cité de mémoire une réplique de Posthumus (qu’il a interprété en 2010 sous la direction de Declan Donnellan). Et comme le Monsieur s’y connait en belles choses et aime les partager, ça donne ça :

« Reste là, ô mon âme, suspendue comme un fruit

Jusqu’à ce que l’arbre  ne meurt. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autant vous dire, que ni une, ni deux après un petit arrêt sur image (pas désagréable) et quelques « que c’est beau ! », je l’ai noté dans mon carnet fourre-tout. First step. Puis, un samedi alors que j’avais clairement d’autres choses de prévu,  Adeline et Matilda se sont mises à se crêper intelligemment le chignon sur un statut FB à propos de cette pièce et surtout de Posthumus. Crétin influençable et jaloux ou héros romantique badass et imperturbable ? Curieuse comme pas deux et comme j’avais eu droit à un panégyrique depuis quelques jours à son sujet par la première, il fallait que je sois fixée.

Cymbeline (David Colling dans la mise en scène de Declan Donnellan par la compagnie Cheek by Jowl)

Cymbeline (David Colling dans la mise en scène de Declan Donnellan par la compagnie Cheek by Jowl en 2010)

Trêve de bavardage, parlons de Cymbeline ! Il ne faut pas se fier au titre de la pièce : ce roi celte est plus secondaire qu’autre chose, réduit à un père tyrannique, un roi ingrat et aveuglé par sa reine, la belle-mère d’Imogène. Un bougre d’idiot, en somme. Pourtant, c’est un personnage historiquement attesté et qui a nourri de nombreuses légendes. Il aurait ressuscité d’entre les morts, rien que ça, avec les parallèles que vous imaginez. Mais tout ça est mis de coté même si bien sûr, Shakespeare raffole (et nous avec!) des sorcières et des esprits revenus d’entre les morts. Cymbeline ne fera pas exception avec une scène où Posthumus est visité par les esprits bienveillants de sa famille, non comme les esprits des victimes de Richard III qui lui font passer un mauvais quart d’heure. Mais, si la part de reconstruction historique est très présente (avec une vraie scène de bataille entre Romains et Bretons qui doit être assez coton à mettre en scène), ce n’est moins la légende plus ou moins fantasmée du roi Cymbeline qui est mise en avant que le conflit domestique entre le roi et son héritière, la marâtre et sa belle-fille et surtout autour de la mésalliance entre Imogène et Posthumus.

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Affiche de Cymbeline au Timms Centre  (Canada, 2012)

C’est d’ailleurs ce qui rend Cymbeline si unique, à mi chemin entre la tragédie  et la comédie, et donc si plaisante à lire. Comme certaines pièces tardives du Barde, il s’agit d’une « romance » qui réinvestie un genre médiéval (avec les codes de la chevalerie qui vont avec) nourri d’aventures, d’éventements fantastiques, d’allégories et surtout d’une opposition entre la vie de cour et la vie pastorale. A titre personnel, même si c’est un peu anachronique, j’y vois plutôt une pièce qui annonce la comedy of manners (ou comédie de mœurs) appliquée à une satire de la société de cour et des rivalités et autres complots qui s’y jouent. Cette petite classification peut paraître idiote et artificielle mais cela montre à quel point cette pièce, en apparence simple et qui pourrait être réduite à un pauvre conte de fée (Imogène en Cendrillon dotée d’une méchante marâtre, Posthumus en prince banni, les petits princes enlevés au berceau, etc), est assez complexe pour emprunter de nombreux motifs à des genres  très différents.

Imogène dans la grotte - Gravure de Boydell d'après Richard Westfall (1803)

Imogène dans la grotte – Gravure de Boydell d’après Richard Westfall (1803)

Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est le traitement du personnage d’Imogène qui, comme la délicieuse Viola dans La Nuit des Rois, doit se travestir en homme pour quitter la cour et prendre en main son destin. Elle est aidée par l’un des personnages de valets le plus développé que je connaisse chez Shakespeare, capable de désobéir à son maître Posthumus pour le bien d’Imogène. Je ne sais pas si Beaumarchais a lu Cymbeline mais Pisanio m’a beaucoup fait pensé à Figaro pour ses paroles libres et je l’ai aimé presque au même titre. Si Imogène est bien guidée, elle reste un personnage féminin très fort comme souvent chez Shakespeare. Mais, contrairement à une Juliette (qui est pourtant aussi séparée de son bien-aimé), Imogène a beaucoup plus de sang froid, revendiquant son indépendance non seulement envers son père mais aussi et surtout envers Posthumus alors qu’il la croit indigne de sa confiance.

Illustration d'Arthur Rackham des Tales from Shakespeare de Charles Lamb

Illustration d’Arthur Rackham des Tales from Shakespeare de Charles & Mary Lamb

L’épisode du déguisement d’Imogène entraîne l’une de mes scènes préférées : la rencontre avec une famille de marginaux dans les montagnes galloises. Si Bélarius, le seigneur déchu, peut paraître un peu plat, ce sont surtout ses « fils » qui m’ont touchés, à la fois droits, fougueux et drôles (surtout malgré eux : les mots d’amour et les « je vous aime comme une soeur » à leur première rencontre avec Imogène, c’était un peu gros!).  Mais c’est surtout le chant funèbre qu’ils chantent ensemble (dont j’ai cité les premiers vers au début de ce billet) qui m’a toute émotionnée quand Imogène a toutes les apparences de la mort (là encore, toute ressemblance avec Juliette serait purement fortuite…) Si vous voulez apprécier pleinement quoique différemment ce passage, vous pouvez écouter la magnifique interprétation de chant funèbre par l’harpiste Loreena McKennitt qui l’a mis en musique et chanté. C ‘est de toute beauté :

Pour la petite anecdote, selon l’un de ses professeurs, le jeune John Keats aurait versé sa petite larme lors de la scène des adieux entre Imogène et Posthumus, le laissant incapable de continuer sa lecture. Pourtant, cette scène n’a rien de larmoyante. Tout sonne juste, sans pathos surtout l’image qu’Imogène utilise lorsqu’elle enguirlande son valet pour n’avoir pas attendu le départ complet du bateau pour l’Italie alors qu’elle serait restée jusqu’à ce que Posthumus soit plus petit au loin qu’une mouche :

« I would have broke mine eye-strings; crack’d them, but
To look upon him, till the diminution
Of space had pointed him sharp as my needle,
Nay, follow’d him, till he had melted from
The smallness of a gnat to air.

(Acte I, Scène III)

Même si Cymbeline a pour thème principal la jalousie de Posthumus (ce qui ne lui rend pas hommage), c’est surtout son honneur et sa droiture tout en étant  un marginal qui lui donne sa force dramatique. Vous aurez remarqué que j’ai été plus touchée par Imogène que par Posthumus mais pour une analyse plus complète et totalement subjective de ce marginal au grand coeur, Adeline a fait ça très bien ! Ni la jalousie de Posthumus, ni l’innocence d’Imogène se sont stéréotypées dans la mesure où le conflit qui les opposent – se faire confiance malgré l’adversité – participent d’une sorte de parcours initiatique ce qui rejoint l’apparence de conte de fée que peut avoir cette pièce. Mais qui a dit que nous étions trop vieux pour lire des contes de fée ?

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C.S Lewis dans la préface de The Lion, The Witch and the Wardrobe adressée à sa filleule 

J’espère avoir la chance un jour de voir une mise en scène de cette pièce mais, pour l’instant, je bave devant celle de Declan Donnellan non seulement parce que je suis assez emballée par le choix d’avoir fait interpréter par Tom Hiddleston à la fois Posthumus et son rival Cloten, le fils de la reine, mais surtout parce que j’avais eu la chance de voir son Macbeth modernisé au Théâtre des Gémeaux à Sceaux et que c’était une vraie merveille. Heureusement, Arte et Youtube permettent de voir un reportage passionnant (et sous-titré, les enfants !) sur les coulisses de la représentation et l’intérêt (si c’était encore à prouver) de jouer aujourd’hui Shakespeare et Cymbeline !

Josie McNee & Tom Hiddleston in Cymbeline" de Rosie Haghighi

Josie McNee & Tom Hiddleston  dans Cymbeline : une linogravure  de Rosie Haghighi

D’ailleurs, en fouillant pour illustrer mon billet, je suis tombée sur le tumblr, puis la page FB et même le compte twitter de la merveilleuse Rosie Haghighi qui a créé une linogravure dont je suis tombée amoureuse justement inspirée de la mise en scène de Declan Donnellan. Rosie a gentillement accepter que je l’utilise. Courez voir ce qu’elle fait, toutes ses œuvres ont de l’idée et pour avoir un peu échangé avec elle, vu sa gentillesse, Rosie mérite son talent ! Thank you so much for your kindness, Rosie! I can’t wait to see your future well-designed work! 🙂

« Richard III » de William Shakespeare

15 Sep
Recostitution faciale de Richard III, d'après le crâne et les ossements du roi retrouvés en 2013.

Reconstitution faciale de Richard III, d’après le crâne et les ossements du roi retrouvés en 2013.

Je vous l’avais promis, je passe d’un Richard à l’autre après avoir fêté dignement l’anniversaire de Richard Armitage avec un poème écrit de mes blanches mains mais justement inspiré par la figure de Richard III. Alors oui, ce n’est  pas le plus aimé des rois anglais, quoique suivi de nos jours par tout un mouvement de Richardiens qui ne perpétuent non pas ses supposées exactions mais sa mémoire pour une plus grande réhabilitation du personnage contre justement le stéréotype véhiculé par la tragédie du Barde.

Autant vous dire que je suis à un chouia de devenir depuis ma lecture de Richard III une digne Richardienne, non sans suivre l’exemple d’un autre Richard : plus Richardien tu meurs ! Pour quoi faire me direz-vous ? Déjà, ce n’est pas tous les jours qu’on peut reprocher quelque chose à une pièce de Shakespeare qui, depuis Romeo & Juliet  mais surtout Macbeth, m’a instinctivement subjugué par son esprit, son humour et la force dramatique de ses pièces. Une grande source d’inspiration, en somme.

Sauf que cette pièce-ci, Richard III, est actuellement controversée et, pour une fois, je vais essayer d’oublier le temps d’un instant mon admiration pour Shakespeare. Comment peut-on jouer aussi éhontément les dramaturges de Cour en cirant les bottes d’Elizabeth Ier, aussi fantastique soit-elle ? C’est facile de cracher sur un York devant une Tudor, descendante des Lancaster, n’est-ce pas ? Il faut savoir que, dès la mort de Richard III, une propagande pour légitimer le pouvoir en place s’est immédiatement mise en place et l’une des preuves les plus significatifs est surement le seul portrait officiel qui nous soit parvenu avant la découverte de ses ossements début 2013 à Leicester.

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Portrait de Richard III

Je ne sais pas si c’est évident pour tout le monde, mais si on observe attentivement ce portrait;, tout semble discréditer le personnage.  Des mains étrangement déformées, presque crochues, cette main droite, celle du pouvoir, chargée de beaucoup trop de bagues, tout cet apparat pour un homme laid, bossu, émacié avec un drôle de regard presque pensif, calculateur en somme… Pas du tout l’image qu’on attend d’un leader ou de l’ancêtre d’une dynastie.

Et, clairement, dans la pièce de Shakespeare, Richard III est au même titre un anti-héros. Pire : le bouc-émissaire de l’histoire anglaise au même titre qu’un Cromwell plusieurs décennies plus tard en devenant l’une des figures emblématiques de l’usurpation, de l’illégitimité du pouvoir et, surtout, du tyran.

Richard III (Ian McKellen)

Si Shakespeare fait assez bien ressortir les passions et les pensées du roi maudit, à tel point que certains ont pu y voir une façon d’humaniser le personnage, ce qui en ressort ressemble beaucoup plus à une figure de monstre qu’à un être de faiblesses. Alors certes, la scène 3 de l’Acte V où les fantômes de ses victimes reviennent le temps d’une vision -cauchemar, fait apparaître un Richard III beaucoup plus faillible et plein de doutes (et pour cause…) mais, c’est la première tirade de l’Acte I qui m’a le plus fait frémir. Elle me semble la plus représentative de l’interprétation shakespearienne de ce personnage controversé qui, sans complexe, revendique sa nature mauvaise, en somme sa nature de « vilain » :

« Deform’d, unfinish’d, sent before my time

Into this breathing world scarce half made up,

And that so lamely and unfashionable

That dogs bark at me as I halt by them;

Why, I, in this weak piping time of peace,

Have no delight to pass away the time,

Unless to spy my shadow in the sun,

And descant on mine own deformity:

And therefore,since I cannot prove a lover,

To entertain these fair well-spoken days,

I am determinèd to prove a villain,

And hate the idle pleasures of these days. »

Comme entrée en matière et première rencontre avec un personnage éponyme, on ne peut pas faire mieux ! Si les premiers vers de la pièce…

« Now is the winter of our discontent

Made glorious summer by this sun of York… »

sont archi-célèbres (à tel point qu’on les retrouve dans The King’s Speech déclamées par Geoffrey Rush, ce qui est clairement du pur bonheur), c’est ce passage qui reste mon préféré de toute la pièce. On sent le machiavélisme du personnage, à l’affût de l’occasion politique, du kairos pour atteindre son ambition mais aussi, en creux, la désillusion et presque la mélancolie d’un temps où c’est par la ruse, la dissimulation et les fausses apparences qu’on fait de la politique, ce qui est assez ironique de la part d’un personnage connu pour son apparence plus que disgracieuse. (Et, pourtant, vu la reconstruction faciale de 2013, j’ai connu plus moche, pas vous ?)

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Jean-Paul Laurens, Les Otages

Mais, ne vous méprenez pas, ce n’est pas parce que je me sens très proche du mouvement de réhabilitation de Richard III que j’y vois un saint ou tout simplement une victime de l’Histoire. Justement, derrière ce genre d’initiative, il y a tout simplement une envie de nuancer les passions et de conserver la dose d’ambiguïté qui doit demeurer derrière la figure de Richard III et finalement derrière toute figure historique controversée. Beaucoup de questions demeurent, par exemple sur son implication ou non dans l’assassinat de ses neveux, les jeunes princes Edward et Richard où plusieurs hypothèses restent plausibles. Ordre direct, « complot » ou implication indirecte ? Tout ce que l’on « sait » (ce qui est forcément plus ou moins douteux) c’est que James Tyrell, un des fidèles de Richard aurait fait le coup, avouant les deux meurtres sous la torture ce qui est l’interprétation qu’a retenu Shakespeare, repris ensuite par Thomas More dans son Richard III.  Le mystère reste toutefois entier…

The Sunne in Splendour de Sharon Kaay Penman

Quant aux soupçons autour de la mort d’Anne Neville, la reine de Richard, la version de Shakespeare qui y verrait un crime passionnel et calculateur me semble bien étrange de la part d’un homme qui a aimé la même femme depuis son enfance et qui a pleuré son fils Edward mort en bas âge jusqu’à la fin. Je ne sortirais pas les violons mais, j’aime l’idée d’u roi à la fois machiavélien et ambitieux tout en étant guidé par une certaine quête de l’amour, plutôt inachevée. On retrouve cette image ambiguë dans The Sunne in Splendour de Sharon Kay Penman par  exemple que j’ai découvert grâce à Richard Armitage. (Comme quoi, le fangirling sert !) que j’ai même en version Kindle et qu’il me tarde de lire !

La figure d’Anne m’a beaucoup touchée dans la pièce de Shakespeare mais peut-être moins que celle de la Reine déchue Margaret dont les malédictions ont marqué plus d’un lecteur et d’une lectrice comme moi ! Cette place de la femme est toujours passionnant chez Shakespeare et ça m’a donné envie de découvrir la série The White Queen. Mais avant ça, je compte bien voir une ou deux adaptations de Richard III, très bientôt celle avec Ian McKellen dans le rôle titre mais avant tout la plus ancienne, avec Laurence Olivier que j’ai trouvé lors de ma première vadrouille en bibliothèque à Lyon cette semaine !  Hourra !

Pour finir, petit clin d’œil : en juin dernier, à Lyon, une version contemporaine de Richard III intitulée Exterminator Richard III a été mise en scène par Ugo Ugolini et interprétée par la compagnie U.Gomina dont j’ai pu lire la critique très élogieuse d’Adeline. et baver un petit coup derrière mon écran pour n’avoir pas pu y assister. Mais ce n’est que partie remise !

Comment se procurer Richard III de William Shakespeare ?

Edition GF

Il y a beaucoup d’éditions possibles, je ne suis pas capable d’en juger les traductions mais j’ai beaucoup aimé le travail et l’appareil critique de  l’édition GF qui regroupe Richard III, Roméo & Juliette et Hamlet qui a été, d’ailleurs, mon premier achat shakespearien. Souvenirs, souvenirs…

Swap Théâtre (sur Livraddict)

27 Août
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Edward Hopper, First Row Orchestra (1951)

Etre une blogueuse littéraire, c’est aussi participer aux nombreux échanges organisés sur la blogosphère, comme les swaps où chaque swapée reçoit un petit colis de sa binôme pour découvrir de nouvelles choses et satisfaire ses goûts. Comme qu’il fallait bien une première fois, j’ai été séduite par le Swap spécial « Théâtre » de Jed’s Burdy  et j’ai pris beaucoup de plaisir à échanger avec ma binôme, Fofie

Les règles de ce swap étaient archi simples, voilà ce qu’il fallait réunir dans son colis :

– Un roman dont le titre ou l’histoire a un lien avec le métier (acteur, jeu ou également le cinéma)
– Une pièce de théâtre que vous voulez lire ou relire
– Des marques-pages et/ou photos, affiches représentant le théâtre
– Une gourmandise

Après avoir échangé des questionnaires pour connaitre nos envies et nos goûts, j’ai reçu un matin ce super colis qui, comme toujours, nous donne un petit avant-goût de Noël vu l’excitation et les gloussements de celle qui l’a ouvert  :

Digital image

Le contenu du colis que j’ai reçu (agrémenté de petits accessoires perso liés au Théâtre)

Commençons par les gourmandises !

– Un pot de miel artisanal, d’un apiculteur de la région de ma swappée ! Ça tombe bien, j’adore ça et j’avais justement hésité quelques jours avant en visitant l’Abbaye d’Ourscamp (près de chez moi) d’acheter un gros pot de miel mais trop cher pour ma bourse.

– Des nonnettes au cassis ! Là encore, j’adore ça même si je n’en mange pas souvent ! Et j’adore les fruits rouges donc c’est vraiment parfait. Je les garde amoureusement pour les manger à Lyon en compagnie de ma coloc quand j’emménagerai en septembre là-bas. Mais, elles me font de l’œil, les coquines !

… et les marques-pages !

– un marque-page qui m’a intrigué sur un château-fort bâti d’après l’artisanat traditionnel à  Guédelon « dans le respect des techniques du XIIIe siècle ». J’adore ce genre d’initiative et les châteaux-forts par dessus le marché  alors ça ne pouvait pas mieux tomber !

– et un autre marque-page fait maison, joliment customisé, avec une jolie rousse avec vêtue d’une robe émeraude. Ceux qui me connaissent savent que c’est le genre de personnage que j’aime, ayant moi-même été rousse pendant 3 ans en prépa.

Et les livres dans tout ça ?

Les comédiens de Graham Greene ! C’est mon premier Graham Greene même si La puissance et la Gloire me fait beaucoup de l’œil, comme beaucoup j’imagine.

– La machine infernale de Jean Cocteau. Je connais le poète, le dramaturge qui m’a toujours beaucoup touchée, j’attends avec impatience de mieux connaitre le dramaturge !

Je suis heureuse que mon propre colis ait plu à Fofie. En voici le contenu :

Mon colis (1/2) : Lecture & Gourmandise

Mon colis (2/2) : affiches et marques-pages avec des citations au  dos écrites de mes blanches mains !

Merci Fofie à nouveau et au plaisir de participer peut-être à un nouveau swap, très vite ! 

En attendant, rendez-vous en novembre pour le swap Irlande chez Dawn et je vous conseille vivement de tenter le voyage avec nous !

 

« Sonnets portugais » d’Elizabeth Barrett Browning

30 Juin
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Elizabeth Barrett Browning (1806-1861)

 

« Le destin n’a pas épargné l’écrivain que fut Elizabeth Browning. Nul ne la lit, nul n’en parle, nul ne songe à lui rendre justice. »

(Virginia Woolf, article du Common Reader, 1931)

 

Je ne parle pas ici assez de poésie à mon goût, peut-être parce que ce n’est pas un genre actuellement très valorisé et pourtant, j’ai un grand amour pour la poésie. J’ai même publié  « Éclaircie de passage », l’un de mes poèmes sur ce blog l’an dernier, c’est quelque chose que je pratique très régulièrement mais je comprends la réticence de certains pour la poésie même si pour moi, ça a toujours été très naturel de lire et d’écrire des poèmes. 

John Keats (Ben Whishaw) dans Bright Star

Tout naturellement, en tant qu’anglophile, je ne pourrais pas me passer des poètes anglais pour vivre. Shakespeare, John Keats, William Blake, Lord Byron, Wordsworth, Coleridge, les sœurs Brontë ou Oscar Wilde sont d’éternelles sources d’inspirations et de plaisir pour moi. Vous l’aurez peut-être noté, rien que dans ma liste, les poétesses n’ont pas une grande place dans toute anthologie qui se respecte ce qui confirme ce qui disait Virginia Woolf dans Une chambre à soi sur la difficulté que représente l’accession au statut de poète pour une femme sans un minimum de conditions matérielles favorables.

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Emily Brontë

J’ai une tendresse toute particulière pour Emily Brontë et Emily Dickinson (dire qu’il faille traverser l’Atlantique pour trouver une poétesse digne de ce nom) qui, en plus de leur prénom, partage une même aura mystérieuse autour de leur vie et de leur oeuvre. Si vous l’avez l’occasion de vous procurer La dame blanche de Christian Bobin, vous aurez en main ce qui m’a donné envie de découvrir Emily Dickinson grâce à cette très belle biographie plus ou moins romancée.

 

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Robert Browning (1812-1889)

 

Toutefois, c’est d’une poétesse beaucoup moins connue que j’ai envie de vous présenter, qui a eu une vie (à mon sens) très romanesque et que j’ai découverte grâce à Virginia Woolf : Elizabeth Barrett Browning. Virginia Woolf a le chic de sortir de l’anonymat des auteurs inconnues (la soeur de Shakespeare, Christina Rossetti ou Sara Coleridge pour ne citer qu’elles) et de nous donner envie de les lire sur le champ ! Ça a été mon cas avec Elizabeth Barrett Browning, femme du poète Robert Browning et dont les vers de ses Sonnets portugais ont donné furieusement envie  à Rainer Maria Rilke de les traduire en allemand. Vous avez peut-être entendu parler de Flush de Virginia Woolf (l’une de mes prochaines lectures pour le challenge Virginia Woolf) et c’est par ce biais que j’ai été séduite par Elizabeth Browning sans même lire une seule ligne de cette biographie du point de vue du chien de la poétesse ce qui déjà aiguiserait la curiosité de n’importe quel lecteur.

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Elizabeth Barrett (Norma Shearer) dans The Barretts of Wimpole Street

Passage obligé quand on lit de la poésie anglaise, j’ai découvert les Sonnets portugais dans son édition bilingue de la NRF (la même que j’ai pour les poèmes d’Emily Brontë bien que j’ai fait l’acquisition récemment d’une version audio des poèmes de la famille Brontë, un régal, mes amis !) et, comme d’habitude, la traduction est pourrie (pardon pour la traductrice, Lauraine Jungelson) mais permet de sauver les meubles quand le sens d’une strophe nous échappe vraiment.  Par contre, l’appareil critique est comme toujours très instructif surtout pour une poétesse aussi peu populaire. La préface est remplie d’anecdotes, d’extraits de correspondances (quand on sait qu’Elizabeth et Robert ont échangé 574 lettres, rien que ça !) en retraçant l’histoire du couple et la postérité des Sonnets portugais.

D’ailleurs, qu’est-ce qui est à l’origine des Sonnets portugais ? Il faut avant tout comprendre qui était Elizabeth Barrett avant et après avoir écrit ces sonnets. Avant ça, atteinte d’une étrange maladie incurable ,  mélancolique depuis la mort de son frère préféré, recluse dans la maison familiale à Wimpole Street et destinée apparemment à rester vieille fille toute sa vie sous la pression d’un père autoritaire, elle va tout de même publier un recueil de poèmes qui la rend célèbre en Angleterre et outre-atlantique et ce recueil va arriver dans les mains de Richard Browning. Il va lui écrire ces mots :

« J’aime vos vers de tout mon coeur, chère Miss Barrett […]. Dans cet acte de m’adresser à vous, à vous-même, mon sentiment s’élève pleinement. Oui, c’est un fait que j’aime vos vers de tout mon coeur, et aussi, que je vous aime vous. »

Je n’ose imaginer ça en anglais ! Au début, comme toutes les rock-stars qui reçoivent des lettres d’amour, elle va gentillement le refouler et ne lui offrir que son amitié. Ils vont mettre du temps à se rencontrer en personne (à cause des réticences d’Elizabeth visiblement qu’il soit déçu de cette rencontre à cause de sa maladie). Après une première demande par écrit qu’elle refusera tout en reconnaissant que cet homme l’obsède sans y voir encore de l’amour, après de nouvelles rencontres en l’absence de son père (qui, forcément, ne voit pas l’arrivée Robert d’un bon œil dans la vie monacale de sa fille), accepte finalement sa proposition à la seule condition que sa santé s’améliore, ce qui retarde encore un peu plus leur union. Finalement, le mariage est précipité en septembre 1846 dans le plus grand secret et sans le consentement du père. Comme dans tous les romans qui se respectent après un tel événement, ils décident de s’enfuir en Italie, à Florence.

lettres-portugaisesC’est de cette rencontre décisive, autant amoureuse que humaine qu’Elizabeth Barret va écrire ses Sonnets portugais jusqu’à son mariage, à l’insu de Robert Browning et forcément de sa famille. Ces Sonnets from the Portuguese décrivent l’évolution de ses sentiments, comme un relevé presque journalier ce qui en fait une magnifique étude sur l’amour et la place de plus en plus envahissante de la passion dans la vie d’une femme amoureuse qui, enfin, vit pleinement les choses. Je ne crois pas que le titre de ce recueil soit une référence aux célèbres Lettres portugaises de Guilleragues, présentées faussement comme la traduction de lettres d’une religieuse portugaise à un officier français, longtemps attribuée à une vraie religieuse. La coïncidence est tout de même assez troublante car Elizabeth Barrett, vivant comme une femme recluse, dialogue dans ses Sonnets avec l’être aimé où elle suit le même parcours évolutif de doute, de confiance et d’amour sauf qu’il était rapportée dans les Lettres portugaises à la foi et non à l’amour charnel.

du-bellay-regretsSelon moi, un recueil de poésie se lit différemment par rapport à toute oeuvre littéraire. J’aime délibérément sauter des poèmes, lire certains plusieurs fois quand ils me touchent plus que les autres ce qui représente une lecture presque aléatoire. J’aime bien aussi piocher dans un recueil un poème au hasard, ce qui veut dire que je prends chaque poème pour lui-même et pas forcément dans sa relation avec tout le recueil. Parfois, c’est une lecture qui fonctionne, parfois non mais c’est sûr que ce n’est pas très académique et scolaire. De même, si on voit ces poèmes comme un parcours linéaire vers l’amour, ce n’est peut-être pas la lecture la plus judicieuse mais je n’en ai pas moins aimé les vers d’Elizabeth Browning et la sincérité de ses sentiments sans avoir besoin de retracer un parcours figé. Quand j’ai dû lire Les Regrets de Du Bellay en prépa pour le concours, je n’ai pas pu faire ça par exemple ce qui distingue surement une lecture imposée et une lecture pour le plaisir, pour l’amour de la poésie.

En voici, quelques uns :

 

XLIII – How do I love thee? Let me count the ways.

How do I love thee? Let me count the ways.

I love thee to the depth and breadth and height

My soul can reach, when feeling out of sight

For the ends of being and ideal Grace.

 

I love thee to the level of every day’s

Most quiet need, by sun and candlelight.

I love thee freely, as men strive for Right;

I love thee purely, as they turn from Praise.

 

I love thee with the passion put to use

In my old griefs, and with my childhood’s faith.

I love thee with a love I seemed to lose

 

With my lost saints. I love thee with the breath,

Smiles, tears, of all my life; and, if God choose,

I shall but love thee better after death.

 

 

VII – The face of all the world is changed, I think,

 

The face of all the world is changed, I think,

Since first I heard the footsteps of thy soul

Move still, oh, still, beside me, as they stole

Betwixt me and the dreadful outer brink

 

Of obvious death, where I, who thought to sink,

Was caught up into love, and taught the whole

Of life in a new rhythm. The cup of dole

God gave for baptism, I am fain to drink,

 

And praise its sweetness, Sweet, with thee anear.

The names of country, heaven, are changed away

For where thou art or shalt be, there or here;

 

And this… this lute and song… loved yesterday,

(The singing angels know) are only dear

Because thy name moves right in what they say.

 

Et, comme les Sonnets portugais sont suivis d’autres poèmes, voici mon préféré dans tout le recueil, intitulé « Inclusions ». Il a quelque chose à voir avec le mythe de l’androgyne dans le Banquet de Platon, maintenant populairement appelés « les âmes sœurs ». derrière, cette figure, l’amour est l’inclusion parfaite, l’emboîtement et l’harmonie entre deux personnes qui s’oublient elles-mêmes pour ne faire qu’un.

INCLUSIONS

1

O, WILT thou have my hand, Dear, to lie along in thine?

As a little stone in a running stream, it seems to lie and pine.

Now drop the poor pale hand, Dear,… unfit to plight with thine.

2

O, wilt thou have my cheek, Dear, drawn closer to thine own?

My cheek is white, my cheek is worn, by many a tear run down.

Now leave a little space, Dear,… lest it should wet thine own.

3

O, must thou have my soul, Dear, commingled with thy soul? —

Red grows the cheek, and warm the hand,… the part is in the whole!

Nor hands nor cheeks keep separate, when soul is join’d to soul.

 

Où se procurer les Sonnets portugais ?

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Sonnets portugais d’Elizabeth Barrett Browning

Poésie Gallimard – 178 pages

EUR 7, 60

 

 

 

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C’est ma 10e et dernière contribution au mois anglais organisé par Lou et Titine. Retrouvez mon bilan ci-dessous. 

 

 

Bilan du Mois anglais 2013

10 contributions : 2 romans, 1 essai, 1 pièce de théâtre, 1 recueil de nouvelles, 1 recueil de poésie, 1 billet thématique et 3 séries TV.

La Traversée des apparences de Virginia Woolf

Snobs de Julian Fellowes

Une chambre à soi de Virginia Woolf

Look Back in Anger de John Osborne (extrait)

Les Intrus de la Maison Haute de Thomas Hardy

Sonnets portugais d’Elizabeth Barrett Browning

Home Sweet Home : Quatre maisons d’écrivains anglais

Ripper Street (BBC, 2012)

Little Dorrit (BBC, 2008) d’après Charles Dickens

Any Human Heart (2010) d’après William Boyd

 

Merci aux organisatrices et aux autres participant(e)s qui l’ont rendu aussi vivant et particulièrement en lisant et commentant mes dix billets. J’ai eu autant de plaisir à vous lire et à être tentée par autant d’idées de lecture. Vive l’anglophilie, le mois anglais et à l’an prochain pour son come back !

Virginia Woolf Tea

Comme les autres participant(e)s, j’ai répondu à l’invitation d’un jeu photo en mettant en scène mon coup de coeur du mois anglais (« Une chambre à soi » de Virginia Woolf, forcément) avec une tasse, ici celle à l’effigie de la maison Serpentard !

"Look Back In Anger" (1956) de John Osborne

23 Juin
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“The injustice of it is about perfect—the wrong people going hungry, the wrong people being loved, the wrong people dying… while the rest of the world is being blown to bits around us what matters — me, me me.” Jimmy Porter (Richard Burton) in Look back in Anger de Tony Richardson (1959)

 

 

Ça vous avez manqué ? Après près de mois mois d’absence faute de temps et d’inspiration, mon rendez-vous « Un mois, un extrait » est enfin de retour et, pour rendre hommage au mois anglais qui touche bientôt à sa fin (hélas !), je vais  mettre à l’honneur non seulement un auteur anglais mais aussi un genre dont je ne parle pas assez souvent sur La Bouteille à la Mer, j’ai nommé : le théâtre !

 

Mais, comme d’habitude, pour ceux qui auraient raté les derniers épisodes, petite piqûre de rappel sur ce rendez-vous (normalement) mensuel où vous pouvez participer !

 

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

 

Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

 

#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE
#5: « Un plaisant » in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE 
#6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST 
#7: De profundis d’Oscar Wilde
 
Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique « Un mois, un extrait » en haut de page.

 

Look Back in Anger
J’ai parlé ici encore moins de théâtre anglais (ou de théâtre tout court) que de théâtre contemporain et ce n’est pas faute d’aimer le théâtre et suivre de près ou de loin les programmations culturelles chaque année. Mais faute de temps et de moyens, ce n’est pas possible d’assouvir systématiquement ma passion pour le théâtre.

 

Quand j’ai pensé vous parlé d’une pièce anglaise, j’ai bien sûr tout de suite songé à Shakespeare, notre maître à tous, mais à mon habitude, j’aime sortir des sentiers battus ce qui m’a demandé un peu de recherche pour trouver un dramaturge anglais et contemporain qui pourrait satisfaire mes goûts.

 

John Osborne

John Osborne

 

 

C’est ainsi que j’ai porté mon choix sur John Osborne et sa pièce Look Back in Anger (1956), traduite en français (et c’est de circonstance aujourd’hui !) : La Paix du dimanche. John Osborne (1929-1994) fait partie de cette génération d’auteurs appelés par la critique de « Angry Young Men » (les jeunes gens en colère) qui contre le snobisme, le maniérisme et l’art pour l’art de la génération précédente, affirme une esthétique volontairement hyper-réaliste et concrète, proche du quotidien, et critique d’un regard cynique et désabusé la société des années 40-50 du point de vue d’auteurs aux origines généralement modestes et de la classe travailleuse.

 

Richard Burton (Jimmy) & Mary Ure (Allison) in Look Back in Anger (1959)

Richard Burton (Jimmy) & Mary Ure (Allison) in Look Back in Anger (1959)

 

 

Quoi de mieux que le théâtre pour mettre en oeuvre cette critique acerbe ? La place du quotidien, de la routine a une grande place dans Look Back in Anger puisque l’action se situe dans un appartement modeste, celui de Jimmy et Allison Porter en compagnie de l’ami et associé de Jimmy, Cliff Lewis, un dimanche en pleine lecture des journaux quotidiens pendant qu’Allison repasse. Quoi de plus ennuyeux qu’un dimanche ? Cette monotonie du quotidien, c’est justement ce qui met en colère Jimmy, un parfait anti-héros plein de ressentiment contre la société, contre la bourgeoisie (dont est issue sa femme), contre Allison si calme, si passive et finalement contre lui-même, lui qui se considère comme une cause perdue.

 

Richard Burton (Jimmy)

Richard Burton (Jimmy)

 

Voilà ce qui anime Jimmy, la colère. Ça n’en fait pas un personnage sympathique mais pas non plus antipathique. A vrai dire, il nous ressemble trop pour le traiter seulement d’enfoiré lui qui pousse à bout sa femme, qui la rabaisse, qui en vient même par accident à la blesser, qui critique son beau père le colonel et sa mentalité edwardienne. Quand on se regarde dans le miroir, on est tous à un moment donné en colère contre tout et tous et surtout contre nous-même. Au milieu de tout ça, il y a Cliff qui essaye tant bien que mal d’apaiser tout le monde, de défendre Allison, de remettre à sa place Jimmy, d’essayer que ce couple recolle les morceaux. En fin de compte, c’est lui « la paix du dimanche ». Est-ce que cette paix sera retrouvée à la fin de la pièce ? A vous de le découvrir en lisant Look Back in Anger mais avant ça, laissez-vous tenter par cet extrait qui met en scène Jimmy dans toute sa splendeur, à savoir, une colère totale qui ferait presque passer Achille pour un amateur du dimanche !

 

Look Back in Anger (La paix du dimanche) de John Osborne – Extrait de l’Acte I

 

 

JIMMY: Why do I do this every Sunday? Even the book reviews seem to be the same as lastweek’s. Different books—same reviews. Have you finished that one yet?

 

CLIFF: Not yet.

 

JIMMY: I’ve just read three whole columns on the English Novel. Half of it’s in French. Do the Sunday papers make you feel ignorant?

 

CLIFF: Not ‘arf.

 

JIMMY: Well, you are ignorant. You’re just a peasant. (To Alison.) What about you? You’re not a peasant are you?

 

ALISON: (absently). What’s that?

 

JIMMY: I said do the papers make you feel you’re not so brilliant after all?

 

ALISON: Oh—I haven’t read them yet.

 

JIMMY: I didn’t ask you that. I said—

 

CLIFF: Leave the poor girlie alone. She’s busy.

 

JIMMY: Well, she can talk, can’t she? You can talk, can’t you? You can express an opinion. Or does the White Woman’s Burden make it impossible to think?

 

ALISON: I’m sorry. I wasn’t listening properly.

 

JIMMY: You bet you weren’t listening. Old Porter talks, and everyone turns over and goes to sleep. And Mrs. Porter gets ’em all going with the first yawn.

 

CLIFF: Leave her alone, I said.

 

JIMMY: (shouting). All right, dear. Go back to sleep. It was only me talking. You know? Talking? Remember? I’m sorry.

 

CLIFF: Stop yelling. I’m trying to read.

 

JIMMY: Why do you bother? You can’t understand a word of it.

 

CLIFF: Uh huh.

 

JIMMY: You’re too ignorant.

 

CLIFF: Yes, and uneducated. Now shut up, will you?

 

JIMMY: Why don’t you get my wife to explain it to you? She’s educated. (To her.) That’s right, isn’t it?

 

CLIFF: (kicking out at him from behind his paper). Leave her alone, I said.

 

JIMMY: Do that again, you Welsh ruffian, and I’ll pull your ears off.

 

He bangs Cliff’s paper out of his hands.

 

CLIFF: (leaning forward). Listen—I’m trying to better myself. Let me get on with it, you big, horrible man. Give it me. (Puts his hand out for paper.)

 

ALISON: Oh, give it to him, Jimmy, for heaven’s sake! I can’t think!

 

CLIFF: Yes, come on, give me the paper. She can’t think.

 

JIMMY: Can’t think! (Throws the paper back at him.) She hasn’t had a thought for years! Have you?

 

ALISON: No.

 

(…) 

 

CLIFF: Give me a cigarette, will you?

 

JIMMY (to Allison) : Don’t give him one.

 

CLIFF: I can’t stand the stink of that old pipe any longer. I must have a cigarette.

 

JIMMY: I thought the doctor said no cigarettes?

 

CLIFF: Oh, why doesn’t he shut up?

 

JIMMY: All right. They’re your ulcers. Go ahead, and have a bellyache, if that’s what you want. I give up. I give up. I’m sick of doing things for people. And all for what? Alison gives Cliff a cigarette. They both light up, and she goes on with her ironing. Nobody thinks, nobody cares. No beliefs, no convictions and no enthusiasm. Just another Sunday evening.

 

Cliff sits down again, in his pullover and shorts. 

 

Perhaps there’s a concert on. (Picks up Radio Times) Ah. (Nudges Cliff with his foot.) Make some more tea. Cliff grunts. He is reading again. Oh, yes. There’s a Vaughan Williams. Well, that’s something, anyway. Something strong, something simple, something English. I suppose people like me aren’t supposed to be very patriotic. Somebody said—what was it— we get our cooking from Paris (that’s a laugh), our politics from Moscow, and our morals from Port Said. Something like that, anyway. Who was it? (Pause.) Well, you wouldn’t know anyway. I hate to admit it, but I think I can understand how her Daddy must have felt when he came back from India, after all those years away. The old Edwardian brigade do make their brief little world look pretty tempting. All homemade cakes and croquet, bright ideas, bright uniforms. Always the same picture: high summer, the long days in the sun, slim volumes of verse, crisp linen, the smell of starch. What a romantic picture. Phoney too, of course. It must have rained sometimes. Still, even I regret it somehow, phoney or not. If you’ve no world of your own, it’s rather pleasant to regret the passing of someone else’s. I must be getting sentimental. But I must say it’s pretty dreary living in the American Age—unless you’re an American of course. Perhaps all our children will be Americans. That’s a thought isn’t it? He gives Cliff a kick, and shouts at him. I said that’s a thought!

 

(…) 

 

JIMMY: (moving in between them). Have you ever seen her brother? Brother Nigel? The straight-backed, chinless wonder from Sandhurst? I only met him once myself. He asked me to step outside when I told his mother she was evil minded.

 

CLIFF: And did you?

 

JIMMY: Certainly not. He’s a big chap. Well, you’ve never heard so many well-bred commonplaces come from beneath the same bowler hat. The Platitude from Outer Space—that’s brother Nigel. He’ll end up in the Cabinet one day, make no mistake. But somewhere at the back of that mind is the vague knowledge that he and his pals have been plundering and fooling everybody for generations. (Going upstage, and turning.) Now Nigel is just about as vague as you can get without being actually invisible. And invisible politicians aren’t much use to anyone—not even to his supporters! And nothing is more vague about Nigel than his knowledge. His knowledge of life and ordinary human beings is so hazy, he really deserves some sort of decoration for it— a medal inscribed « For Vaguery in the Field ». But it wouldn’t do for him to be troubled by any stabs of conscience, however vague. (Moving down again.) Besides, he’s a patriot and an Englishman, and he doesn’t like the idea that he may have been selling out his countryman all these years, so what does he do? The only thing he can do—seek sanctuary in his own stupidity. The only way to keep things as much like they always have been as possible, is to make any alternative too much for your poor, tiny brain to grasp. It takes some doing nowadays. It really does. But they knew all about character building at Nigel’s school, and he’ll make it all right. Don’t you worry, he’ll make it. And, what’s more, he’ll do it better than anybody else!

 

There is no sound, only the plod of Alison’s iron. Her eyes are fixed on what she is doing. Cliff stares at the floor. His cheerfulness has deserted him for the moment. Jimmy is rather shakily triumphant. He cannot allow himself to look at either of them to catch their response to his rhetoric, so he moves across to the window, to recover himself, and look out. It’s started to rain. That’s all it needs. This room and the rain. He’s been cheated out of his response, but he’s got to draw blood somehow.

 

(…)

 

Où se procurer Look Back in Anger ?

En VO : Look Back in Anger 
96p. – EUR 9, 30
En VF : La paix du dimanche
92p. – EUR 11, 78
Adaptations : Look Back in Anger de Tony Richardson (1959), avec Richard Burton, EUR 18, 79
Look Back in Anger de Judi Dench (1989), avec Kenneth Branagh, Emma Thompson et Gerard Horan. EUR 10, 74

 

 

 

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C’est ma septième contribution au mois anglais organisé par Lou et Titine.