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« Les Braises » de Sándor Márai

20 Juil

Embers/Les Braises de Sandor Marai (Version anglaise)

« Es-tu aussi d’avis que ce qui donne un sens à notre vie c’est uniquement la passion, qui s’empare un jour de notre corps et, quoi qu’il arrive entre-temps, le brûle jusqu’à la mort ? Crois-tu aussi que notre vie n’aura pas été inutile, si nous avons ressenti, l’un et l’autre, cette passion ? (…) Sommes-nous ridicules si nous pensons, l’un et l’autre, que, malgré tout, la passion s’adresse à une seule personne… éternellement à quelque énigmatique personne, bien définie, qui peut-être bonne ou mauvaise, indifféremment, puisque l’intensité de notre passion ne dépend aucunement de ses actes ni de ses qualités ?

L’intrigue

Les Braises raconte l’histoire de la mort d’une passion et d’une amitié mourante entre deux amis d’enfance aussi opposés de condition que de caractère, arrivés à la fin de leur vie  Si le Général, l’hôte, est riche, généreux et patriotique, Conrad, l’invité, est désargenté, cynique et individualiste. Sur fond de Seconde guerre mondiale, leurs retrouvailles, qui ne dureront que vingt-quatre heures dans un huit-clos, retracent leurs deux vies au long de l’espèce d’interrogatoire auquel Conrad est soumis sous la pression du Général. Ce long dialogue pleins de non-dits et de coups de théâtre devient psychologique et philosophique, laissant les vieux sages s’interroger sur l’amitié, l’amour, le destin mais aussi la trahison pour mieux cacher les vraies questions de leur histoire personnelle. Le feu de leur amitié est-il vraiment éteint ? Quels secrets se cachent derrière les braises ?

Ce roman fait partie de mes coups de coeur cette année alors faute d’avoir pu le chroniquer, j’en profite pour le mettre à l’honneur avec ce nouveau Un mois, un extrait après des mois d’absence sur ce blog de ce rendez-vous.

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?
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Logo – Un mois, un etrait

C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».
Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir
#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE
#5: « Un plaisant » in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE 
#6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST 
#7: De profundis d’Oscar Wilde
#8: Look Back in Anger de John Osborne 
#9: Poésie d’Anne, Charlotte, Emily & Branwell Brontë
 
Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique « Un mois, un extrait » en haut de page.

 

Si vous voulez participer avec moi à ce rendez-vous de partage ou si  vous avez un conseil de lecture particulier, contactez-moi à l’adresse bottleinasea[at]gmail.com ou à l’aide des commentaires ci-dessous.

 

Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas d’Imre Kertész

J’ai découvert avec ce roman la littérature hongroise et je crois vraiment que c’est une merveilleuse façon de commencer. L’an dernier, j’ai acheté beaucoup de romans hongrois d’après les conseils d’une amie d’origine hongroise et ancienne prof d’anglais de mon lycée. Si ma première expérience avec Imre Kertész a été assez éprouvante quant au sujet du livre, mais aussi le style très philosophique, Les Braises est un roman très abordable qui, à sa manière, m’a beaucoup fait penser à Mrs Dalloway à cause du temps de l’action très bref, qui ne retrace qu’un jour dans la vie de deux hommes vieillissants tout en revenant sur leur passé.

 

littérature hongroise

Ma PAL hongroise

Sandor Marai

Comme vous le voyez, j’ai encore un autre Márai à lire, L’Héritage d’Esther dont j’ai lu plusieurs critiques plus que positives ce mois-ci comme chez  Shelbylee. Avant de lire Les Braises, je ne connaissais pas cet auteur, même de nom. Traducteur de Kafka en hongrois, témoin de l’Histoire et de la montée des totalitarismes, exilé en Italie et aux Etats-Unis à cause de ses idées incompatibles avec le régime communiste hongrois d’après-guerre, il finira par se suicider en 1989 après la mort tragique de ses proches. Son destin, même triste, me semble intéressant littérairement car son expérience et sa vie lui ont inspiré une oeuvre profonde, pleine de questionnements qui m’ont touchés dans Les Braises. Je ne sais pas à quel point ses romans sont autobiographiques ou non mais j’y ai senti beaucoup de personnalité et beaucoup d’âme.

C’est dommage que cet auteur soit resté inconnu de son vivant en France et seulement traduit dans les années 90 mais je pense qu’il gagne vraiment à être connu et lu. Comparé à Stefan Sweig et Arthur Schnitzler, j’ai personnellement hâte de continuer à connaitre son oeuvre; Sans être foncièrement novateur, son style est tellement fluide que la lecture vous emporte. C’est bien simple, je n’ai pas pu lâcher Les Braises. Les personnages semblent si proches grâce à une psychologie très développée et en même représentatifs d’une société mourante, de la fin d’une ère à la manière du Guépard de Lampedusa.

Mais c’est surtout le style et le thème de la vengeance, de la nostalgie et de l’amitié qui m’ont vraiment transportés. Même si on est invité à suivre principalement le point de vue du Général, le personnage de Conrad, très ambigu moralement, ne vous laissera pas indifférent. C’est d’ailleurs le passage qui suit que je vous invite à lire qui me l’a fait aimé. On y découvre pendant un flashback sur la naissance de leur amitié sa passion pour la musique et pour Chopin. Les mots sont très justes alors forcément, j’étais perdue.

 

Les Braises de Sándor Márai, extrait du Chapitre VI

Traduction (de l’hongrois) : Marcelle & Georges Regnier
Edition : Livre de Poche, p. 48-49.

« Pourtant, Conrad disposait d’un refuge, d’une retraite cachée, où le monde ne pouvait l’atteindre : la musique. (…) Toute musique le touchait comme un coup porté à son corps. Elle lui communiquait des émotions dont les autres ne pouvaient avoir la moindre idée. Sans doute ne s’adressait-elle pas seulement à son cerveau. L’existence de Conrad s’écoulait selon les règles sévères de son éducation, règles qu’il avait acceptées librement, comme un croyant accepte de faire pénitence et, au prix de cette discipline, il avait atteint un certain rang dans le monde. Mais, dès qu’il entendait de la musique, son attitude raide et crispée paraissait se détendre, comme lorsque dans l’armée, après une longue et fatigante parade, retentit soudain le commandement : repos. À ce moment-là, il oubliait son entourage. Le regard fixe, brillant, il ne voyait plus ses supérieurs ni ses condisciples, ni les jolies femmes autour de lui.

La musique il l’écoutait avec son corps. Il l’absorbait, comme assoiffé. Il l’écoutait comme le prisonnier écoute le bruit des pas qui approchent et apportent, peut-être, la nouvelle de la délivrance. Il n’entendait plus rien d’autre, tout disparaissait, absorbé par la musique. Dans cet état, Conrad n’était plus militaire.

Un soir d’été, la mère d’Henri et Conrad exécutaient un morceau à quatre mains. (…) La comtesse et Conrad jouaient avec passion. Ils interprétaient Chopin avec un tel feu que, dans la pièce, tout paraissait vibrer. Tandis  que dans leur fauteuil le père et le fils attendaient avec courtoisie et résignation la fin du morceau, ils comprenaient qu’une véritable métamorphose s’était opérée chez les deux pianistes. De ces sonorités, une force magique s’échappait, capable d’ébranler les objets, en même temps qu’elle réveillait ce qui était enfoui au plus profond des coeurs. Dans leur coin, les auditeurs polis découvraient que la musique pouvait être dangereuse en libérant un jour les aspirations secrètes de l’âme humaine.
Mais les pianistes ne se souciaient pas du danger. La « polonaise » n’était plus que le prétexte à l’explosion des forces qui ébranlent et font crouler tout ce que l’ordre établi par les hommes cherche à dissimuler si soigneusement. Un accord plaqué avait brusquement terminé leur jeu. Ils restèrent assis devant le piano, le buste tendu et quelque peu rejeté en arrière. Il semblait que tous deux, après avoir lancé dans l’espace les coursiers fougueux d’un fabuleux attelage, tenaient d’une main ferme, au milieu d’un déchaînement tumultueux, les rênes des puissances libérées. Par la croisée, un rayon de soleil couchant pénétra dans la pièce et, dans ce faisceau lumineux, une poussière dorée se mit à tournoyer comme soulevée par ce galop vers l’infini.

 

Comment lire Les Braises
Les Braises de Sandor Marai

Les Braises de Sandor Marai

Les Braises de Sandor Marai

Lu en Livre de Poche

EUR 6, 10

J’espère que cet extrait vous donnera envie de lire ce beau roman ou de (re)découvrir  Sandor Marai. Rendez-vous à la mi-août pour lire un nouveau Un mois, un extrait ! En attendant, n’hésitez pas à me soumettre des idées d’extraits à lire !

logo autour du monde

Lu pour le challenge « Autour du monde » chez Matilda

 

Poésie de Charlotte, Emily, Anne & Branwell Brontë

29 Sep
Emily Bronte (Isabelle Adjani), Charlotte Bronte (Marie-France Pisier) & Anne Bronte (Isabelle Huppert)

Emily  (Isabelle Adjani), Charlotte (Marie-France Pisier) et Anne Brontë (Isabelle Huppert) dans Les Sœurs Brontë

Branwell Brontë (Pascal Greggory)

Branwell Brontë (Pascal Greggory)

 

 

 

 

 

 

 

 

« Sweet Love of youth, forgive if I forget thee,

While the world’s tide is bearing me along:

Sterner desires and other hopes beset me,

Hopes which obscure, but cannot do thee wrong! »

 Emily Bronte, « Remembrance »

Charlotte Brontë

Charlotte Brontë

Pour cette nouvelle édition 2013-2014 de mon rendez-vous mensue« Un mois, un extrait » créé il y un an, j’ai eu envie de mettre en avant les premiers amours de ce blog, qui fête déjà sa première année d’activité régulière, tout ça à bon port et avec un équipage et des passagers tous plus fidèles les uns que les autres ! Et comme j’ai déjà beaucoup parlé  des talents narratifs de la famille Brontë, principalement grâce à Charlotte avec Jane Eyre & Le Professeur, j’ai eu envie de vous faire découvrir leurs œuvres plus méconnues, à savoir la poésie de la famille Brontë qui se sont tous les quatre essayés à cet art exigeant et sensible.

Mais avant toute chose…

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».
Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !
« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :
#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE
#5: « Un plaisant » in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE 
#6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST 
#7: De profundis d’Oscar Wilde
#8: Look Back in Anger de John Osborne 
 
Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique « Un mois, un extrait » en haut de page.
Si vous voulez participer avec moi à ce rendez-vous de partage ou si  vous avez un conseil de lecture particulier, contactez-moi à l’adresse bottleinasea[at]gmail.com ou à l’aide des commentaires ci-dessous.
Emily Brontë

Emily Brontë

Ma première approche de la poésie des Brontë a été celle d’Emily grâce au petit recueil bilingue Poèmes de la Nrf. Généralement considérée comme la meilleure poétesse de la famille pour sa sensibilité et la maturité de ses thèmes de prédilection. Si j’ai commencé ce billet justement par des vers de son poème « Remembrance » (découvert grâce à la vidéo ci-dessous) c’est que je partage cet avis et l’univers d’Emily très longtemps depuis ma lecture de Wuthering Heights, peut-être le roman qui résume le mieux les aspirations de l’adolescence pour la passion avant de s’assagir un peu ! (ou pas)

Mais si on se souvient plus facilement de la fraîcheur, du poids du désir et de la fascination des landes chez Emily, le poème qui suit montre une facette plus grave, à la recherche d’un repos apaisé pour faire taire sa conscience et ses interrogations. Qu’est-ce qu’une journée bien remplie peut nous apprendre, propice a priori au repos bien mérité ? Et pourtant, qui sème le vent récolte la tempête ! La conscience, la culpabilité ont beaucoup à dire et mentent tout autant ! Seule la mort peut pleinement nous apaiser ou, ici-bas, la tranquillité qu’offre l’heure de minuit suffit-elle tout simplement ?

SELF-INTERROGATION

Emily Brontë

“The evening passes fast away.
’Tis almost time to rest;
What thoughts has left the vanished day,
What feelings in thy breast?

“The vanished day? It leaves a sense
Of labour hardly done;
Of little gained with vast expense—
A sense of grief alone?

“Time stands before the door of Death,
Upbraiding bitterly
And Conscience, with exhaustless breath,
Pours black reproach on me:

“And though I’ve said that Conscience lies
And Time should Fate condemn;
Still, sad Repentance clouds my eyes,
And makes me yield to them!

“Then art thou glad to seek repose?
Art glad to leave the sea,
And anchor all thy weary woes
In calm Eternity?

“Nothing regrets to see thee go—
Not one voice sobs’ farewell;’
And where thy heart has suffered so,
Canst thou desire to dwell?”

“Alas! the countless links are strong
That bind us to our clay;
The loving spirit lingers long,
And would not pass away!

“And rest is sweet, when laurelled fame
Will crown the soldier’s crest;
But a brave heart, with a tarnished name,
Would rather fight than rest.

“Well, thou hast fought for many a year,
Hast fought thy whole life through,
Hast humbled Falsehood, trampled Fear;
What is there left to do?

“’Tis true, this arm has hotly striven,
Has dared what few would dare;
Much have I done, and freely given,
But little learnt to bear!

“Look on the grave where thou must sleep
Thy last, and strongest foe;
It is endurance not to weep,
If that repose seem woe.

“The long war closing in defeat—
Defeat serenely borne,—
Thy midnight rest may still be sweet,
And break in glorious morn!”

Charlotte Brontë

J’ai toujours pensé que Charlotte était la plus stoïcienne de la famille Brontë, à l’image de Jane Eyre, souffrant  parfois mais, avec son bon sens habituel, se ressaisissant toujours avec courage (« bear{ing] a cheerful spirit still ») après être passée par une phase nécessaire de passion intense ou de découragement. J’ai toujours apprécié  ça dans son écriture et chez ses personnages : le retour au bon sens sans forcément dénié que nous sommes des êtres qui souffrent, aiment et ressentent profondément l’absence de l’être aimé sans forcément, tel un Heathcliff péter une durite, exhumer le cadavre de Cathy, hanté par son absence-présence. Malgré un sujet assez sérieux et grave, Charlotte réussie à produire un poème extrêmement lumineux, plein d’espoir. Mes vers préférés restant :

« When we’re parted wide and far, 
We will think of one another, 
As even better than we are.

(…)

We can meet again, in thought. »

Et croyez-moi, écouter ce poème sur son mp3 (et particulièrement ces vers), en traversant un pont tout en observant les reflets du Rhône,  ça n’a pas de prix.

« PARTING »

Charlotte Brontë

THERE’S no use in weeping, 
Though we are condemned to part: 
There’s such a thing as keeping 
A remembrance in one’s heart: 

There’s such a thing as dwelling 
On the thought ourselves have nurs’d, 
And with scorn and courage telling 
The world to do its worst. 

We’ll not let its follies grieve us, 
We’ll just take them as they come; 
And then every day will leave us 
A merry laugh for home. 

When we’ve left each friend and brother, 
When we’re parted wide and far, 
We will think of one another, 
As even better than we are. 

Every glorious sight above us, 
Every pleasant sight beneath, 
We’ll connect with those that love us, 
Whom we truly love till death ! 

In the evening, when we’re sitting 
By the fire perchance alone, 
Then shall heart with warm heart meeting, 
Give responsive tone for tone. 

We can burst the bonds which chain us, 
Which cold human hands have wrought, 
And where none shall dare restrain us 
We can meet again, in thought. 

So there’s no use in weeping, 
Bear a cheerful spirit still; 
Never doubt that Fate is keeping 
Future good for present ill ! 

Anne Brontë

Anne Brontë

Anne est clairement la soeur Brontë que je connais le moins, n’ayant pour l’instant lu aucun de ses romans et ce n’est pas faute d’avoir Agnès Grey et The Tenant of Wildfell Hall dans ma PAL. J’espère profiter de 2013-2014 et du Challenge « Les Soeurs Brontë » chez Missycornish pour remédier à cette lacune. Pour compenser, en achetant le volume 1 du CD The Brontes : The Poems en juin dernier, j’ai pu écouter un certain nombre des poèmes d’Anne, au même titre que ceux des trois autres Brontë. Dans mon imaginaire, Anne est pour moi la plus « sage » de ses soeurs, peut-être aussi la plus pieuse, persuadée qu’un roman doit être avant-tout le medium d’une leçon morale. Très terre-à-terre et réaliste, Anne est la gouvernante par excellence, celle qui enseigne sans pouvoir se laisser porter par ses rêves. Et pourtant, l’espace du poème, du moins celui que j’ai choisi, semble plus aérien : on est emporté par la fraîcheur des souvenirs, l’enfance, la pureté et pourtant, ce n’est qu’un état de grâce puisque la souffrance (« grief (although, perchance, their stay be brief) ») perturbe ce moment parfait ce qui n’est pas étonnant puisque les sœurs Brontë ont connu très jeune le deuil, autant de leur mère que de leurs sœurs aînées emportées par la tuberculose. Toutefois, tout comme Charlotte, ces souvenirs heureux et lumineux permettent tout de même d’être rappelés à la vie pour mieux avancer au jour le jour en cas de détresse présente…

MEMORY

Anne Brontë

BRIGHTLY the sun of summer shone
Green fields and waving woods upon,

And soft winds wandered by;
Above, a sky of purest blue,
Around, bright flowers of loveliest hue,
Allured the gazer’s eye.

But what were all these charms to me,
When one sweet breath of memory
Came gently wafting by?
I closed my eyes against the day,
And called my willing soul away,
From earth, and air, and sky;

That I might simply fancy there
One little flower–a primrose fair,
Just opening into sight;
As in the days of infancy,
An opening primrose seemed to me
A source of strange delight.

Sweet Memory! ever smile on me;
Nature’s chief beauties spring from thee;
Oh, still thy tribute bring
Still make the golden crocus shine
Among the flowers the most divine,
The glory of the spring.

Still in the wallflower’s fragrance dwell;
And hover round the slight bluebell,
My childhood’s darling flower.
Smile on the little daisy still,
The buttercup’s bright goblet fill
With all thy former power.

For ever hang thy dreamy spell
Round mountain star and heather bell,
And do not pass away
From sparkling frost, or wreathed snow,
And whisper when the wild winds blow,
Or rippling waters play.

Is childhood, then, so all divine?
Or Memory, is the glory thine,
That haloes thus the past?
Not ALL divine; its pangs of grief
(Although, perchance, their stay be brief)
Are bitter while they last.

Nor is the glory all thine own,
For on our earliest joys alone
That holy light is cast.
With such a ray, no spell of thine
Can make our later pleasures shine,
Though long ago they passed.

branwell (1)

Patrick Branwell Brontë

Quand on aime les écrits des soeurs Brontë, Branwell est presque une légende. Cet Heathcliff, ce Rochester des mauvais jours est aussi un homme à part entière, assez méconnu et pourtant génial : écrivain né depuis le monde imaginaire de Glass Town et d’Angria créé par les enfants Brontë, portraitiste et précepteur. On a tout(e)s en tête le portrait des sœurs Brontë peint par Branwell où il s’est délibérément effacé pour ne pas surchargé le tableau. Cette disparition de la figure du frère est presque symbolique, tellement  il est à la fois toujours dans l’ombre de ses sœurs et omniprésent dans leur oeuvre.  Il faut dire qu’on connait surtout Branwell par le romanesque et la vie mouvementée et brisée qu’il a connu : alcoolique, dépendant au laudanum, atteint de delirium tremens et finalement tuberculeux, Branwell est surtout  un vrai  personnage byronien, amoureux éconduit qui  va se détruire faute de pouvoir avoir pour lui seul celle qu’il aime. (Heathcliff, sors de ce corps.) Qui était-elle ? Mrs Lydia Robinson, née Gisborne, la maîtresse de maison chez qui il a été précepteur. Tout porte à croire que Lydia serait devenue sa maîtresse, et que oh ! surprise, son mari l’aurait découvert, le chassant de céans, non sans une compensation financière donnée en secret par Mrs Robinson avec l’aide d’un domestique.  Branwell aurait espéré qu’une fois l’époux passé de vie à trépas, Lydia aurait pu devenir sa femme légitime mais, pas bête le bougre, Mr Robinson aurait stipulé dans son testament que sa femme n’hériterait de rien si elle n’osait ne serait-ce que penser à finir ses vieux jours au  coté de Patrick Branwell Brontë, son amant. Mort des amants. THE END.

De cette liaison est née le poème qui suit, avec un titre évocateur puisqu’il reprend le nom de jeune fille de Lydia (très évocateur pour les spectatrices de Robin Hood) comme une façon de rendre cette femme toujours libre alors même qu’il la présente presque captive dans sa propre maison et dans son mariage. Il faut savoir qu’elle était littéralement « libre » puisqu’elle aurait eu plusieurs amants (Branwell n’étant ni son premier, ni son dernier). Lydia Robinson est visiblement une figure assez ambiguë mais Branwell en garde forcément un souvenir idéalisé, cristallisé alors qu’elle ne va pas hésiter après  la mort de son mari à se remarier très avantageusement avec un certain Lord Scott (pas lui,  un autre), tout juste veuf de deux mois pour devenir une parfaite mondaine londonienne…. Toutefois, Branwell n’est pas non plus dupe et une certaine amertume traverse la fin du poème, où ses espoirs sont noyés dans la rivière Ouse comme un siècle plus tard ceux de Virginia Woolf…

LYDIA GISBORNE

Patrick Branwell Brontë

On Ouse’s grassy banks – last Whitsuntide,
I sat, with fears and pleasures, in my soul
Commingled, as ‘it roamed without control,’
O’er present hours and through a future wide
Where love, me thought, should keep, my heart beside
Her, whose own prison home I looked upon:
But, as I looked, descended summer’s sun,
And did not its descent my hopes deride?
The sky though blue was soon to change to grey –
I, on that day, next year must own no smile –
And as those waves, to Humber far away,
Were gliding – so, though that hour might beguile
My Hopes, they too, to woe’s far deeper sea,
Rolled past the shores of Joy’s now dim and distant isle. 

J’espère que ce nouveau rendez-vous d’« Un mois, un extrait » après quelques temps d’absence et un peu plus fourni que d’habitude vous aura plu et que ça vous incitera à lire ou écouter la poésie et les romans les moins connus de la famille Brontë.  N’hésitez pas à me suggérer des extraits pour les prochains numéros!

Où écouter les poèmes de la famille Brontë ? 

A part le dernier poème de Branwell, ceux cités (et bien d’autres !) sont facilement écoutables dans le volume 1 et le volume 2 d’un livre-audio regroupant les poèmes des Brontë.

Brontës – The Poems (vol. 1 & 2). Lus par Anna Bentinck, David Shaw-Parker, Eve Karpf & Jo Wyatt. EUR 7, 99 chacun, téléchargeables en mp3 sur Amazon.

Mais si vous aimez lire surtout de la poésie en recueil (quoi que les deux sont tout-à-fait compatibles !), vous pouvez découvrir les Brontë en piochant dans :

Cahiers de poèmes – Emily Brontë

– Cahiers de poèmes d’Emily Brontë (Points) – EUR 6, 84 (qui vient de rejoindre gentillement mon panier Amazon)

– Le monde du dessous : Poèmes et proses de Gondal et d’Angria de Charlotte Brontë, Anne Brontë, Emily Brontë et Branwell Patrick Brontë (J’ai lu) – EUR 7, 41 (Idem)

Poems of Currer, Ellis & Acton Bell – (Format Kindle, gratuit)

 

 

 

challenge-brontë

Troisième participation au Challenge ‘Les Soeurs Brontë » chez Missycornish

challenge xixe

Première participation au Challenge XIXe siècle chez Netherfield Park

L’association « Le Litterarium » à Lyon (Lyon II)

28 Sep

Le Litterarium

«  »Pour cette leçon de liberté, ces moments de vraie confrontation, qu’ils soient remerciés. Leur association, si elle se cache derrière l’ascétique appellation Litterarium, pratique  avec générosité le partage du plaisir , la transmission de la vivacité d’intelligence. » (Dominique Carlat, préface du recueil de nouvelles du premier concours d’écriture du Litterarium)

rendez-vous-littéraire

Rendez-Vous en Terre Littéraire Inconnue avec Le Litterarium

La Bouteille à la Mer fait aussi sa rentrée et peau neuve autour d’un nouveau Rendez-vous après Un mois, un extrait dont le prochain numéro arrivera dans les jours qui viennent pour fêter la première année d’existence de ce rendez-vous conçu pour vous faire découvrir des perles de littérature.

Comme « Un mois, un extrait », ce « Rendez-Vous en Terre Littéraire Inconnue » a la même philosophie de partage et de de découverte mais cette fois en présentant des acteurs méconnus de la littérature et de la culture actuellement engagés dans des initiatives qui valorisent avec ténacité et courage leur apport nécessaire dans notre société médiatisée en manque de repères et de mobilisation fructueuse.

Le Litterarium

Tout juste installée à Lyon, j’ai découvert une initiative littéraire et universitaire qui m’a beaucoup séduite par sa jeunesse, son ambition mais aussi sa convivialité avec une approche de la littérature comme la plus accessible possible. Mettre en valeur la littérature et la libre pensée au sein d’un cadre académique et extrêmement normatif, en somme croire en la compatibilité du loisir dans une sphère studieuse, c’est cet esprit qui a guidé Le Litterarium et ses trois membres fondateurs : Yann Baracat, Clément Extier et Guillaume Rouvière dont la relève a été assurée par Sylvain Métafiot, son actuel président assisté par Jérémy Engler (trésorier), Camélia Koch (secrétaire), Aude Caruana (graphiste chargée du recueil du concours de nouvelles) et Christelle Fort (graphiste pour le Quizarium).

Cette belle équipe ne rassemble pas forcément des « littéraires » (si ce mot a un sens puisqu’on peut se sentir littéraire sans forcément avoir suivi ses études en Lettres) comme par exemple son président, Sylvain, qui a eu un parcours en sciences politiques mais qui, comme ses collègues de l’association et beaucoup d’entre nous, partage une passion pour la lecture, l’écriture et le partage sur les livres.

N’est -ce pas d’ailleurs le mot d’ordre du Littérarium, ce goût du partage ? Comme me l’a rappelé Sylvain que j’ai interviewé :

« Mu par une double vocation, Le Litterarium souhaite parvenir à créer un espace de rencontre et de discussion entre étudiants autour de la littérature, et associer les acteurs du monde littéraire à la démarche collective de promotion de la création littéraire estudiantine. Nos projets, s’ils sont réservés aux étudiants Lyon 2, n’en restent pas moins tourné vers l’extérieur. C’est la raison d’être du Litterarium : rassembler les étudiants autour d’un intérêt commun pour la littérature et associer à ce rassemblement et ces réflexions les acteurs de la littérature. » 

Université Lyon II Lumière

Université Lyon II Lumière

Leur point de départ ? L’université Lyon II dont le soutien a permis dès sa création en 2009 de lancer une initiative agréablement ambitieuse, accessible non seulement aux étudiants de tous horizons (et donc pas seulement aux rats de bibliothèque mais aussi aux passionnés en tout genre de littérature et d’écriture parmi les étudiants, quelque soient leur cursus, littéraire ou non) mais également inscrite dans une mission de médiation et de transmission en s’associant avec des professionnels du livre lyonnais, « de fidèles et généreux partenaires (que ce soit en temps ou en contact) » selon Sylvain, à l’ère du numérique et de la crise du monde de l’édition, de l’industrie du livre et des librairies indépendantes. Mais le rôle de Lyon II est d’autant plus crucial que l’université soutient non seulement financièrement l’association mais aussi moralement grâce à l’encouragement actif de leurs professeurs, tout particulièrement en Lettres. Et on se réjouie pour eux et la littérature d’un tel soutien, autant institutionnel qu’individuel !

Le Litterarium recrute !

Est-ce difficile de mener ensemble une telle expérience associative ? Forcément, chaque association est confrontée différemment à toute sorte de problèmes, autant de fonds que d’investissement régulier  de la part d’adhérents, très souvent bénévoles, mais Le Littérarium, soutenu comme il est, semble bien s’en sortir ! D’ailleurs, son président a été membre durant six ans (désormais en tant que membre d’honneur) d’une association des étudiants en science politique et en droit, toujours à Lyon II, la Mankpad’ère. Avec autant d’expérience, ça aide pour mener à bon port Le Littérarium !

« Quand on décide de lancer un concours d’écriture et qu’on lit des manuscrits improbables. »

Troisième édition du Concours d’écriture du Litterarium

Comme beaucoup d’associations, l’actualité du Littérarium se concentre autour d’un certain nombre d’événements, dont le plus génial (à mon humble avis) reste le concours d’écriture qui en est à sa 3e édition et dont la 4e édition aura lieu un peu plus tard dans l’année, le temps de publier les recueils des précédentes éditions. D’ailleurs à mon adhésion (d’une somme modique de 2€), j’ai reçu gratuitement le recueil de nouvelles de la première édition dont j’ai lu avec plaisir la préface de Dominique Carlat, professeur de lettres (Passages XXe-XXIe) à Lyon  II  ainsi  que la nouvelle de Perrine Gérard, Le Double Six de la rue Haussmann, l’u ne des sept lauréates du concours cette année-là.

Concernant cette valorisation de l’écrit, j’ai d’ailleurs été curieuse de savoir quelle relation l’association avait avec le numérique et plus largement avec internet et les réseaux sociaux. Toujours d’après Sylvain, si  les réseaux sociaux sont largement valorisés évidemment pour une meilleure visibilité de l’association vu qu’ils sont présents sur Facebook, Twitter, sur leur récent site internet mais aussi par courriel (qui représente  une large part de leurs activités de communication), l’apport du numérique n’est pas exclu vu qu’ils envisagent prochainement de proposer une version numérique du recueil de nouvelles en complément de leur format papier bien que ce dernier reste leur priorité actuelle grâce à un travail forcément conséquent (mais courageux !).

Le Quizarium, un rendez-vous convivial du Litterariu

D’autres événements sont organisés en parallèle comme la saison 5 du Quizarium, un quizz littéraire tenu une fois par mois dans un bar lyonnais L’Antidote Pub et qui (sans étonnement) demande l’investissement de tous les adhérents (pour l’instant une trentaine depuis la dernière vague de recrutement à la rentrée) pour l’écriture des questions et le bon déroulement du quizz sur place. Je compte bien y participer au prochain donc je vous tiens au jus!

D’autres projets voient le jour comme une petite gazette littéraire en ligne, Diurnum, sur leur site internet où, hebdomadairement, les membres de l’association pourront publier un article en lien avec la littérature, de près ou de loin. J’ai hâte de lire le premier article ! Le Litterarium a aussi dans l’idée de relancer des lectures de poésie, et vu mon amour pour ce genre un peu en voie de disparition, je suis sûre d’en être ! Autre projet excitant, qui aboutira, je l’espère, Le Litterarium va très certainement participer au festival Quais du Polar (prévu du 4 au 6 avril 2014) pour y proposer une animation : un quizz littéraire sur ‘univers du polar, bien sûr ! A suivre !

Longue vie au Litterarium !

Si vous êtes étudiant lyonnais, amoureux de littérature d’écriture et de préférence à Lyon II, les activités du Litterarium pourraient vous plaire ! Quant aux autres, l’association n’exclue pas dans l’avenir un dialogue avec Lyon I, Lyon III, l’IEP, l’ENS Lyon et leurs associations alors n’hésitez aps à suivre leur actualité !  

Merci à Sylvain Métafiot d’avoir répondu gentillement à mes (très) nombreuses questions ! Merci aussi à l’accueil, au temps et à la disposition que m’ont offert à mon adhésion le trésorier de l’association, Jérémy Engler avec qui j’ai discuté de mon idée d’article et qui y a répondu avec enthousiasme. Bravo à l’équipe et à la prochaine, lors des événements du Littérarium !

 

Où retrouver Le Litterarium ?

Sur Facebook

Sur Twitter

Sur son site internet

Par courriel : lelitterarium@gmail.com

Siège social :

Université Lumière Lyon 2
Maison de l’Étudiant
Campus Porte des Alpes
5 avenue Pierre Mendès France
69500 Bron

Rendez-vous en terre musicale inconnue :

Le prochain rendez-vous, prévu pour octobre, en profitera pour vous présenter une émission de radio indépendante, Comme un Roc fondée à Besançon par deux potes Joe & Zack et rejoint cette année par Joan après le départ de Joe pour d’autres folles activités dans une autre ville. En attendant, vous pouvez d’ores et déjà les écouter tous les lundis de soir de 21h-23h sur Radio Sud Besançon (101.8 FM) et en ligne en direct ou via leurs podcasts !  Stay tuned !

Rendez-vous en Terre musicale inconnue

Rendez-vous en Terre musicale inconnue

Si vous êtes une association, une initiative, individuelle ou collective, qui vise à mettre en valeur la littérature, la musique et les arts en tous genres et que vous voulez me faire découvrir votre travail et qu’en retour, je parle de vos projets lors de ce rendez-vous mensuel, n’hésitez pas à me contacter, notamment par courriel ou sur la page FB de La Bouteille à la Mer !

« Sonnets portugais » d’Elizabeth Barrett Browning

30 Juin
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Elizabeth Barrett Browning (1806-1861)

 

« Le destin n’a pas épargné l’écrivain que fut Elizabeth Browning. Nul ne la lit, nul n’en parle, nul ne songe à lui rendre justice. »

(Virginia Woolf, article du Common Reader, 1931)

 

Je ne parle pas ici assez de poésie à mon goût, peut-être parce que ce n’est pas un genre actuellement très valorisé et pourtant, j’ai un grand amour pour la poésie. J’ai même publié  « Éclaircie de passage », l’un de mes poèmes sur ce blog l’an dernier, c’est quelque chose que je pratique très régulièrement mais je comprends la réticence de certains pour la poésie même si pour moi, ça a toujours été très naturel de lire et d’écrire des poèmes. 

John Keats (Ben Whishaw) dans Bright Star

Tout naturellement, en tant qu’anglophile, je ne pourrais pas me passer des poètes anglais pour vivre. Shakespeare, John Keats, William Blake, Lord Byron, Wordsworth, Coleridge, les sœurs Brontë ou Oscar Wilde sont d’éternelles sources d’inspirations et de plaisir pour moi. Vous l’aurez peut-être noté, rien que dans ma liste, les poétesses n’ont pas une grande place dans toute anthologie qui se respecte ce qui confirme ce qui disait Virginia Woolf dans Une chambre à soi sur la difficulté que représente l’accession au statut de poète pour une femme sans un minimum de conditions matérielles favorables.

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Emily Brontë

J’ai une tendresse toute particulière pour Emily Brontë et Emily Dickinson (dire qu’il faille traverser l’Atlantique pour trouver une poétesse digne de ce nom) qui, en plus de leur prénom, partage une même aura mystérieuse autour de leur vie et de leur oeuvre. Si vous l’avez l’occasion de vous procurer La dame blanche de Christian Bobin, vous aurez en main ce qui m’a donné envie de découvrir Emily Dickinson grâce à cette très belle biographie plus ou moins romancée.

 

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Robert Browning (1812-1889)

 

Toutefois, c’est d’une poétesse beaucoup moins connue que j’ai envie de vous présenter, qui a eu une vie (à mon sens) très romanesque et que j’ai découverte grâce à Virginia Woolf : Elizabeth Barrett Browning. Virginia Woolf a le chic de sortir de l’anonymat des auteurs inconnues (la soeur de Shakespeare, Christina Rossetti ou Sara Coleridge pour ne citer qu’elles) et de nous donner envie de les lire sur le champ ! Ça a été mon cas avec Elizabeth Barrett Browning, femme du poète Robert Browning et dont les vers de ses Sonnets portugais ont donné furieusement envie  à Rainer Maria Rilke de les traduire en allemand. Vous avez peut-être entendu parler de Flush de Virginia Woolf (l’une de mes prochaines lectures pour le challenge Virginia Woolf) et c’est par ce biais que j’ai été séduite par Elizabeth Browning sans même lire une seule ligne de cette biographie du point de vue du chien de la poétesse ce qui déjà aiguiserait la curiosité de n’importe quel lecteur.

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Elizabeth Barrett (Norma Shearer) dans The Barretts of Wimpole Street

Passage obligé quand on lit de la poésie anglaise, j’ai découvert les Sonnets portugais dans son édition bilingue de la NRF (la même que j’ai pour les poèmes d’Emily Brontë bien que j’ai fait l’acquisition récemment d’une version audio des poèmes de la famille Brontë, un régal, mes amis !) et, comme d’habitude, la traduction est pourrie (pardon pour la traductrice, Lauraine Jungelson) mais permet de sauver les meubles quand le sens d’une strophe nous échappe vraiment.  Par contre, l’appareil critique est comme toujours très instructif surtout pour une poétesse aussi peu populaire. La préface est remplie d’anecdotes, d’extraits de correspondances (quand on sait qu’Elizabeth et Robert ont échangé 574 lettres, rien que ça !) en retraçant l’histoire du couple et la postérité des Sonnets portugais.

D’ailleurs, qu’est-ce qui est à l’origine des Sonnets portugais ? Il faut avant tout comprendre qui était Elizabeth Barrett avant et après avoir écrit ces sonnets. Avant ça, atteinte d’une étrange maladie incurable ,  mélancolique depuis la mort de son frère préféré, recluse dans la maison familiale à Wimpole Street et destinée apparemment à rester vieille fille toute sa vie sous la pression d’un père autoritaire, elle va tout de même publier un recueil de poèmes qui la rend célèbre en Angleterre et outre-atlantique et ce recueil va arriver dans les mains de Richard Browning. Il va lui écrire ces mots :

« J’aime vos vers de tout mon coeur, chère Miss Barrett […]. Dans cet acte de m’adresser à vous, à vous-même, mon sentiment s’élève pleinement. Oui, c’est un fait que j’aime vos vers de tout mon coeur, et aussi, que je vous aime vous. »

Je n’ose imaginer ça en anglais ! Au début, comme toutes les rock-stars qui reçoivent des lettres d’amour, elle va gentillement le refouler et ne lui offrir que son amitié. Ils vont mettre du temps à se rencontrer en personne (à cause des réticences d’Elizabeth visiblement qu’il soit déçu de cette rencontre à cause de sa maladie). Après une première demande par écrit qu’elle refusera tout en reconnaissant que cet homme l’obsède sans y voir encore de l’amour, après de nouvelles rencontres en l’absence de son père (qui, forcément, ne voit pas l’arrivée Robert d’un bon œil dans la vie monacale de sa fille), accepte finalement sa proposition à la seule condition que sa santé s’améliore, ce qui retarde encore un peu plus leur union. Finalement, le mariage est précipité en septembre 1846 dans le plus grand secret et sans le consentement du père. Comme dans tous les romans qui se respectent après un tel événement, ils décident de s’enfuir en Italie, à Florence.

lettres-portugaisesC’est de cette rencontre décisive, autant amoureuse que humaine qu’Elizabeth Barret va écrire ses Sonnets portugais jusqu’à son mariage, à l’insu de Robert Browning et forcément de sa famille. Ces Sonnets from the Portuguese décrivent l’évolution de ses sentiments, comme un relevé presque journalier ce qui en fait une magnifique étude sur l’amour et la place de plus en plus envahissante de la passion dans la vie d’une femme amoureuse qui, enfin, vit pleinement les choses. Je ne crois pas que le titre de ce recueil soit une référence aux célèbres Lettres portugaises de Guilleragues, présentées faussement comme la traduction de lettres d’une religieuse portugaise à un officier français, longtemps attribuée à une vraie religieuse. La coïncidence est tout de même assez troublante car Elizabeth Barrett, vivant comme une femme recluse, dialogue dans ses Sonnets avec l’être aimé où elle suit le même parcours évolutif de doute, de confiance et d’amour sauf qu’il était rapportée dans les Lettres portugaises à la foi et non à l’amour charnel.

du-bellay-regretsSelon moi, un recueil de poésie se lit différemment par rapport à toute oeuvre littéraire. J’aime délibérément sauter des poèmes, lire certains plusieurs fois quand ils me touchent plus que les autres ce qui représente une lecture presque aléatoire. J’aime bien aussi piocher dans un recueil un poème au hasard, ce qui veut dire que je prends chaque poème pour lui-même et pas forcément dans sa relation avec tout le recueil. Parfois, c’est une lecture qui fonctionne, parfois non mais c’est sûr que ce n’est pas très académique et scolaire. De même, si on voit ces poèmes comme un parcours linéaire vers l’amour, ce n’est peut-être pas la lecture la plus judicieuse mais je n’en ai pas moins aimé les vers d’Elizabeth Browning et la sincérité de ses sentiments sans avoir besoin de retracer un parcours figé. Quand j’ai dû lire Les Regrets de Du Bellay en prépa pour le concours, je n’ai pas pu faire ça par exemple ce qui distingue surement une lecture imposée et une lecture pour le plaisir, pour l’amour de la poésie.

En voici, quelques uns :

 

XLIII – How do I love thee? Let me count the ways.

How do I love thee? Let me count the ways.

I love thee to the depth and breadth and height

My soul can reach, when feeling out of sight

For the ends of being and ideal Grace.

 

I love thee to the level of every day’s

Most quiet need, by sun and candlelight.

I love thee freely, as men strive for Right;

I love thee purely, as they turn from Praise.

 

I love thee with the passion put to use

In my old griefs, and with my childhood’s faith.

I love thee with a love I seemed to lose

 

With my lost saints. I love thee with the breath,

Smiles, tears, of all my life; and, if God choose,

I shall but love thee better after death.

 

 

VII – The face of all the world is changed, I think,

 

The face of all the world is changed, I think,

Since first I heard the footsteps of thy soul

Move still, oh, still, beside me, as they stole

Betwixt me and the dreadful outer brink

 

Of obvious death, where I, who thought to sink,

Was caught up into love, and taught the whole

Of life in a new rhythm. The cup of dole

God gave for baptism, I am fain to drink,

 

And praise its sweetness, Sweet, with thee anear.

The names of country, heaven, are changed away

For where thou art or shalt be, there or here;

 

And this… this lute and song… loved yesterday,

(The singing angels know) are only dear

Because thy name moves right in what they say.

 

Et, comme les Sonnets portugais sont suivis d’autres poèmes, voici mon préféré dans tout le recueil, intitulé « Inclusions ». Il a quelque chose à voir avec le mythe de l’androgyne dans le Banquet de Platon, maintenant populairement appelés « les âmes sœurs ». derrière, cette figure, l’amour est l’inclusion parfaite, l’emboîtement et l’harmonie entre deux personnes qui s’oublient elles-mêmes pour ne faire qu’un.

INCLUSIONS

1

O, WILT thou have my hand, Dear, to lie along in thine?

As a little stone in a running stream, it seems to lie and pine.

Now drop the poor pale hand, Dear,… unfit to plight with thine.

2

O, wilt thou have my cheek, Dear, drawn closer to thine own?

My cheek is white, my cheek is worn, by many a tear run down.

Now leave a little space, Dear,… lest it should wet thine own.

3

O, must thou have my soul, Dear, commingled with thy soul? —

Red grows the cheek, and warm the hand,… the part is in the whole!

Nor hands nor cheeks keep separate, when soul is join’d to soul.

 

Où se procurer les Sonnets portugais ?

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Sonnets portugais d’Elizabeth Barrett Browning

Poésie Gallimard – 178 pages

EUR 7, 60

 

 

 

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C’est ma 10e et dernière contribution au mois anglais organisé par Lou et Titine. Retrouvez mon bilan ci-dessous. 

 

 

Bilan du Mois anglais 2013

10 contributions : 2 romans, 1 essai, 1 pièce de théâtre, 1 recueil de nouvelles, 1 recueil de poésie, 1 billet thématique et 3 séries TV.

La Traversée des apparences de Virginia Woolf

Snobs de Julian Fellowes

Une chambre à soi de Virginia Woolf

Look Back in Anger de John Osborne (extrait)

Les Intrus de la Maison Haute de Thomas Hardy

Sonnets portugais d’Elizabeth Barrett Browning

Home Sweet Home : Quatre maisons d’écrivains anglais

Ripper Street (BBC, 2012)

Little Dorrit (BBC, 2008) d’après Charles Dickens

Any Human Heart (2010) d’après William Boyd

 

Merci aux organisatrices et aux autres participant(e)s qui l’ont rendu aussi vivant et particulièrement en lisant et commentant mes dix billets. J’ai eu autant de plaisir à vous lire et à être tentée par autant d’idées de lecture. Vive l’anglophilie, le mois anglais et à l’an prochain pour son come back !

Virginia Woolf Tea

Comme les autres participant(e)s, j’ai répondu à l’invitation d’un jeu photo en mettant en scène mon coup de coeur du mois anglais (« Une chambre à soi » de Virginia Woolf, forcément) avec une tasse, ici celle à l’effigie de la maison Serpentard !

"Look Back In Anger" (1956) de John Osborne

23 Juin
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“The injustice of it is about perfect—the wrong people going hungry, the wrong people being loved, the wrong people dying… while the rest of the world is being blown to bits around us what matters — me, me me.” Jimmy Porter (Richard Burton) in Look back in Anger de Tony Richardson (1959)

 

 

Ça vous avez manqué ? Après près de mois mois d’absence faute de temps et d’inspiration, mon rendez-vous « Un mois, un extrait » est enfin de retour et, pour rendre hommage au mois anglais qui touche bientôt à sa fin (hélas !), je vais  mettre à l’honneur non seulement un auteur anglais mais aussi un genre dont je ne parle pas assez souvent sur La Bouteille à la Mer, j’ai nommé : le théâtre !

 

Mais, comme d’habitude, pour ceux qui auraient raté les derniers épisodes, petite piqûre de rappel sur ce rendez-vous (normalement) mensuel où vous pouvez participer !

 

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

 

Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

 

#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE
#5: « Un plaisant » in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE 
#6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST 
#7: De profundis d’Oscar Wilde
 
Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique « Un mois, un extrait » en haut de page.

 

Look Back in Anger
J’ai parlé ici encore moins de théâtre anglais (ou de théâtre tout court) que de théâtre contemporain et ce n’est pas faute d’aimer le théâtre et suivre de près ou de loin les programmations culturelles chaque année. Mais faute de temps et de moyens, ce n’est pas possible d’assouvir systématiquement ma passion pour le théâtre.

 

Quand j’ai pensé vous parlé d’une pièce anglaise, j’ai bien sûr tout de suite songé à Shakespeare, notre maître à tous, mais à mon habitude, j’aime sortir des sentiers battus ce qui m’a demandé un peu de recherche pour trouver un dramaturge anglais et contemporain qui pourrait satisfaire mes goûts.

 

John Osborne

John Osborne

 

 

C’est ainsi que j’ai porté mon choix sur John Osborne et sa pièce Look Back in Anger (1956), traduite en français (et c’est de circonstance aujourd’hui !) : La Paix du dimanche. John Osborne (1929-1994) fait partie de cette génération d’auteurs appelés par la critique de « Angry Young Men » (les jeunes gens en colère) qui contre le snobisme, le maniérisme et l’art pour l’art de la génération précédente, affirme une esthétique volontairement hyper-réaliste et concrète, proche du quotidien, et critique d’un regard cynique et désabusé la société des années 40-50 du point de vue d’auteurs aux origines généralement modestes et de la classe travailleuse.

 

Richard Burton (Jimmy) & Mary Ure (Allison) in Look Back in Anger (1959)

Richard Burton (Jimmy) & Mary Ure (Allison) in Look Back in Anger (1959)

 

 

Quoi de mieux que le théâtre pour mettre en oeuvre cette critique acerbe ? La place du quotidien, de la routine a une grande place dans Look Back in Anger puisque l’action se situe dans un appartement modeste, celui de Jimmy et Allison Porter en compagnie de l’ami et associé de Jimmy, Cliff Lewis, un dimanche en pleine lecture des journaux quotidiens pendant qu’Allison repasse. Quoi de plus ennuyeux qu’un dimanche ? Cette monotonie du quotidien, c’est justement ce qui met en colère Jimmy, un parfait anti-héros plein de ressentiment contre la société, contre la bourgeoisie (dont est issue sa femme), contre Allison si calme, si passive et finalement contre lui-même, lui qui se considère comme une cause perdue.

 

Richard Burton (Jimmy)

Richard Burton (Jimmy)

 

Voilà ce qui anime Jimmy, la colère. Ça n’en fait pas un personnage sympathique mais pas non plus antipathique. A vrai dire, il nous ressemble trop pour le traiter seulement d’enfoiré lui qui pousse à bout sa femme, qui la rabaisse, qui en vient même par accident à la blesser, qui critique son beau père le colonel et sa mentalité edwardienne. Quand on se regarde dans le miroir, on est tous à un moment donné en colère contre tout et tous et surtout contre nous-même. Au milieu de tout ça, il y a Cliff qui essaye tant bien que mal d’apaiser tout le monde, de défendre Allison, de remettre à sa place Jimmy, d’essayer que ce couple recolle les morceaux. En fin de compte, c’est lui « la paix du dimanche ». Est-ce que cette paix sera retrouvée à la fin de la pièce ? A vous de le découvrir en lisant Look Back in Anger mais avant ça, laissez-vous tenter par cet extrait qui met en scène Jimmy dans toute sa splendeur, à savoir, une colère totale qui ferait presque passer Achille pour un amateur du dimanche !

 

Look Back in Anger (La paix du dimanche) de John Osborne – Extrait de l’Acte I

 

 

JIMMY: Why do I do this every Sunday? Even the book reviews seem to be the same as lastweek’s. Different books—same reviews. Have you finished that one yet?

 

CLIFF: Not yet.

 

JIMMY: I’ve just read three whole columns on the English Novel. Half of it’s in French. Do the Sunday papers make you feel ignorant?

 

CLIFF: Not ‘arf.

 

JIMMY: Well, you are ignorant. You’re just a peasant. (To Alison.) What about you? You’re not a peasant are you?

 

ALISON: (absently). What’s that?

 

JIMMY: I said do the papers make you feel you’re not so brilliant after all?

 

ALISON: Oh—I haven’t read them yet.

 

JIMMY: I didn’t ask you that. I said—

 

CLIFF: Leave the poor girlie alone. She’s busy.

 

JIMMY: Well, she can talk, can’t she? You can talk, can’t you? You can express an opinion. Or does the White Woman’s Burden make it impossible to think?

 

ALISON: I’m sorry. I wasn’t listening properly.

 

JIMMY: You bet you weren’t listening. Old Porter talks, and everyone turns over and goes to sleep. And Mrs. Porter gets ’em all going with the first yawn.

 

CLIFF: Leave her alone, I said.

 

JIMMY: (shouting). All right, dear. Go back to sleep. It was only me talking. You know? Talking? Remember? I’m sorry.

 

CLIFF: Stop yelling. I’m trying to read.

 

JIMMY: Why do you bother? You can’t understand a word of it.

 

CLIFF: Uh huh.

 

JIMMY: You’re too ignorant.

 

CLIFF: Yes, and uneducated. Now shut up, will you?

 

JIMMY: Why don’t you get my wife to explain it to you? She’s educated. (To her.) That’s right, isn’t it?

 

CLIFF: (kicking out at him from behind his paper). Leave her alone, I said.

 

JIMMY: Do that again, you Welsh ruffian, and I’ll pull your ears off.

 

He bangs Cliff’s paper out of his hands.

 

CLIFF: (leaning forward). Listen—I’m trying to better myself. Let me get on with it, you big, horrible man. Give it me. (Puts his hand out for paper.)

 

ALISON: Oh, give it to him, Jimmy, for heaven’s sake! I can’t think!

 

CLIFF: Yes, come on, give me the paper. She can’t think.

 

JIMMY: Can’t think! (Throws the paper back at him.) She hasn’t had a thought for years! Have you?

 

ALISON: No.

 

(…) 

 

CLIFF: Give me a cigarette, will you?

 

JIMMY (to Allison) : Don’t give him one.

 

CLIFF: I can’t stand the stink of that old pipe any longer. I must have a cigarette.

 

JIMMY: I thought the doctor said no cigarettes?

 

CLIFF: Oh, why doesn’t he shut up?

 

JIMMY: All right. They’re your ulcers. Go ahead, and have a bellyache, if that’s what you want. I give up. I give up. I’m sick of doing things for people. And all for what? Alison gives Cliff a cigarette. They both light up, and she goes on with her ironing. Nobody thinks, nobody cares. No beliefs, no convictions and no enthusiasm. Just another Sunday evening.

 

Cliff sits down again, in his pullover and shorts. 

 

Perhaps there’s a concert on. (Picks up Radio Times) Ah. (Nudges Cliff with his foot.) Make some more tea. Cliff grunts. He is reading again. Oh, yes. There’s a Vaughan Williams. Well, that’s something, anyway. Something strong, something simple, something English. I suppose people like me aren’t supposed to be very patriotic. Somebody said—what was it— we get our cooking from Paris (that’s a laugh), our politics from Moscow, and our morals from Port Said. Something like that, anyway. Who was it? (Pause.) Well, you wouldn’t know anyway. I hate to admit it, but I think I can understand how her Daddy must have felt when he came back from India, after all those years away. The old Edwardian brigade do make their brief little world look pretty tempting. All homemade cakes and croquet, bright ideas, bright uniforms. Always the same picture: high summer, the long days in the sun, slim volumes of verse, crisp linen, the smell of starch. What a romantic picture. Phoney too, of course. It must have rained sometimes. Still, even I regret it somehow, phoney or not. If you’ve no world of your own, it’s rather pleasant to regret the passing of someone else’s. I must be getting sentimental. But I must say it’s pretty dreary living in the American Age—unless you’re an American of course. Perhaps all our children will be Americans. That’s a thought isn’t it? He gives Cliff a kick, and shouts at him. I said that’s a thought!

 

(…) 

 

JIMMY: (moving in between them). Have you ever seen her brother? Brother Nigel? The straight-backed, chinless wonder from Sandhurst? I only met him once myself. He asked me to step outside when I told his mother she was evil minded.

 

CLIFF: And did you?

 

JIMMY: Certainly not. He’s a big chap. Well, you’ve never heard so many well-bred commonplaces come from beneath the same bowler hat. The Platitude from Outer Space—that’s brother Nigel. He’ll end up in the Cabinet one day, make no mistake. But somewhere at the back of that mind is the vague knowledge that he and his pals have been plundering and fooling everybody for generations. (Going upstage, and turning.) Now Nigel is just about as vague as you can get without being actually invisible. And invisible politicians aren’t much use to anyone—not even to his supporters! And nothing is more vague about Nigel than his knowledge. His knowledge of life and ordinary human beings is so hazy, he really deserves some sort of decoration for it— a medal inscribed « For Vaguery in the Field ». But it wouldn’t do for him to be troubled by any stabs of conscience, however vague. (Moving down again.) Besides, he’s a patriot and an Englishman, and he doesn’t like the idea that he may have been selling out his countryman all these years, so what does he do? The only thing he can do—seek sanctuary in his own stupidity. The only way to keep things as much like they always have been as possible, is to make any alternative too much for your poor, tiny brain to grasp. It takes some doing nowadays. It really does. But they knew all about character building at Nigel’s school, and he’ll make it all right. Don’t you worry, he’ll make it. And, what’s more, he’ll do it better than anybody else!

 

There is no sound, only the plod of Alison’s iron. Her eyes are fixed on what she is doing. Cliff stares at the floor. His cheerfulness has deserted him for the moment. Jimmy is rather shakily triumphant. He cannot allow himself to look at either of them to catch their response to his rhetoric, so he moves across to the window, to recover himself, and look out. It’s started to rain. That’s all it needs. This room and the rain. He’s been cheated out of his response, but he’s got to draw blood somehow.

 

(…)

 

Où se procurer Look Back in Anger ?

En VO : Look Back in Anger 
96p. – EUR 9, 30
En VF : La paix du dimanche
92p. – EUR 11, 78
Adaptations : Look Back in Anger de Tony Richardson (1959), avec Richard Burton, EUR 18, 79
Look Back in Anger de Judi Dench (1989), avec Kenneth Branagh, Emma Thompson et Gerard Horan. EUR 10, 74

 

 

 

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C’est ma septième contribution au mois anglais organisé par Lou et Titine.

"De profundis" d’Oscar Wilde

17 Mar

Jude Law & Stephen Fry (Alfred Douglas & Oscar Wilde dans Oscar Wilde)

Jude Law & Stephen Fry (Alfred Douglas &
Oscar Wilde dans Oscar Wilde)

 

 

« I am one of those who are made for exceptions, not for laws. » (Oscar Wilde, De profundis)

 

 

 

 

 

Joyeuse SaintPatrick !

 

Pour l’occasion, « Un mois, un extrait » prend ce mois-ci les couleurs de l’Irlande en mettant à l’honneur Oscar Wilde, l’un de mes auteurs fétiches qui fait partie avec James Joyce des plus célèbres auteurs irlandais.

Petite piqûre de rappel sur ce rendez-vous mensuel sur mon blog:

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

 

Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

 

#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE
#5: « Un plaisant » in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE 
#6: Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST 
#7: De profundis d’Oscar Wilde
 
Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique « Un mois, un extrait » en haut de page.

 


L’extrait qui va suivre est tiré de la lettre écrite par Oscar Wilde à son amant Alfred Douglas, mieux connue sous le titre De profundis, écrite dans sa geôle dans la prison de Reading. C’est plus ou moins à l’identique le texte que j’ai dû traduire et commenter il y a deux ans à l’épreuve d’anglais de l’ENS de la rue d’Ulm. Une fois n’est pas coutume, je l’ai laissé tel quel en anglais ce qui restitue mieux l’expressivité de cette lettre.

Ces quelques lignes traduisent ce qui se joue dans l’expérience de la prison et de ses effets une fois sa libération acquise. L’imminence de la liberté telle qu’Oscar Wilde l’entrevoit, loin d’être idéalisée, est regardée en face non seulement pour la masse des inconnus incarcérés mais surtout pour celui qui, après avoir été réduit à n’être qu’un homme comme les autres parmi les gens du commun, ne pourra pas passer inaperçu une fois dehors. La satire sociale dénonce dans quel état d’abandon la société laisse les anciens détenus, sans égard au mal infligé.

Mais, Wilde fait forcément exception. Face à la destruction, la bêtise et la méchanceté du dehors, c’est par la création et l’art qu’il pourra atteindre sa véritable libération. Se reconstruire passe par là où l’artiste et l’homme qui a souffert, la perfection et l’imperfection ne feront qu’un.

Étrangement, ce témoignage sur l’expérience carcérale entre en résonance avec une programmation sur la prison toute une journée sur France Culture qui avait pour thème « 24h en prison: Surveiller, punir… et après ? » et qui m’avait beaucoup touché. Si vous l’avez raté, et que le sujet vous intéresse, vous pouvez toujours podcaster les émissions de cette journée sur le site de France Culture, notamment un entretien avec Gabriel Mouesca, un militant indépendantiste basque qui a passé 17 ans en prison pour ses idées.

Oscar WILDE – De Profundis 

Oscar Wilde

« Many men on their release carry their prison about with them into the air, and hide it as a secret disgrace in their hearts, and at length, like poor poisoned things, creep into some hole and die. It is wretched that they should have to do so, and it is wrong, terribly wrong, of society that it should force them to do so. Society takes upon itself the right to inflict appalling punishment on the individual, but it also as the supreme vice of shallowness, and fails to realise what it has done. When the man’s punishment is over, it leaves him to himself; that is to say, it abandons him at the very moment when its highest duty towards him begins. It is really ashamed of its own actions, and shuns those whom it has punished, as people shun a creditor whose debt they cannot pay, or one on whom they have inflicted an irreparable, an irremediable wrong. I can claim on my side that if I realise what I have suffered, society should realise what it has inflicted on me; and that there should be no bitterness or hate on either side.

 

Alfred Douglas

Of course I know that from one point of view things will be made different for me than for others; must indeed, by the very nature of the case, be made so. The poor thieves and outcasts who are imprisoned here with me are in many respects more fortunate than I am. The little way in grey city or green field that saw their sin is small; to find those who know nothing of what they have done they need go no further than a bird might fly between the twilight and the dawn; but for me the world is shrivelled to a handsbreadth, and everywhere I turn my name is written on the rocks in lead. For I have come, not from obscurity into the momentary notoriety of crime, but from a sort of eternity of fame to a sort of eternity of infamy, and sometimes seem to myself to have shown, if indeed it required showing, that between the famous and the infamous there is but one step, if as much as one.

 

Still, in the very fact that people will recognise me wherever I go, and know all about my life, as far as its follies go, I can discern something good for me. It will force on me the necessity of again asserting myself as an artist, and as soon as I possibly can. If I can produce only one beautiful work of art I shall be able to rob malice of its venom, and cowardice of its sneer, and to pluck out the tongue of scorn by the roots.

 

 

And if life be, as it surely is, a problem to me, I am no less a problem to life. People must adopt some attitude towards me, and so pass judgment, both on themselves and me. I need not say I am not talking of particular individuals. The only people I would care to be with now are artists and people who have suffered: those who know what beauty is, and those who know what sorrow is: nobody else interests me. Nor am I making any demands on life. In all that I have said I am simply concerned with my own mental attitude towards life as a whole; and I feel that not to be ashamed of having been punished is one of the first points I must attain to, for the sake of my own perfection, and because I am so imperfect. »

 

Où se procurer De profundis

 

Vous pouvez lire cette lettre dans son intégralité en français dans son édition GF pour EUR 6, 65 et en langue originale pour EUR 3, 76.
 

"Chardin et Rembrandt" de Marcel Proust

22 Fév
CHARDIN, Autoportrait
« Nous avions appris de Chardin qu’une poire est aussi vivante qu’une femme, qu’une poterie vulgaire est aussi belle qu’une pierre précieuse. II nous avait fait sortir d’un faux idéal pour pénétrer largement dans la réalité, pour y retrouver partout la beauté, non plus prisonnière affaiblie d’une convention ou d’un faux goût, mais libre, forte, universelle : en nous ouvrant le monde réel, c’est sur la mer de beauté qu’il nous entraîne. »

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

 

Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

 

#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE
#5: « Un plaisant » in Le Spleen de Paris de Charles BAUDELAIRE 

 

Ce mois-ci, ce rendez-vous « Un mois, un extrait » a pris un peu de retard mais le voilà de retour avec Marcel Proust, autant dire que ça valait la peine d’attendre, n’est-ce-pas ? A dire vrai, ce n’est pas vraiment Proust qui sera mis à l’honneur (malgré toute l’admiration que j’ai pour l’homme et son oeuvre) mais plutôt la peinture et une de ses conceptions de l’art à travers l’oeuvre d’un autre : Jean-Siméon Chardin. J’ai connu et aimé Chardin la première fois que je suis allée au Louvre grâce aux commentaires qu’en fait Diderot dans ses Salons. Le réalisme de ses peintures ne peut pas nous laisser indifférent même si les « natures mortes » et les scènes de genre sont surement moins populaires que d’autres thèmes quand on aime la peinture. Pourtant, on sent que quelque chose se passe chez Chardin: le temps, presque suspendu, c’est un instantané de vie qui nous est montré, une vie simple, loin du maniérisme. En vérité, Chardin est un maître à voir : ils nous apprend à bien regarder le monde et, à travers ses tableaux, à le voir sous un nouveau jour à tel point qu’art et réalité viennent à se confondre.

C’est par l’écriture, une autre forme d’art, que Proust veut révéler ce pouvoir de l’art de transfigurer le monde, d’en redonner le goût même dans ses aspects les plus prosaïques ce qui est assez inattendu pour quelqu’un réputé pour être un fieffé dandy et un homme du monde.


Chardin et Rembrandt de Marcel PROUST

 

Jean-Siméon CHARDIN, Le buffet

« Prenez un jeune homme de fortune modeste, aux goûts artistes, assis dans la salle à manger au moment banal et triste où l’on vient de finir de déjeuner et où la table n’est pas encore complètement desservie. L’imagination pleine de la gloire des musées, des cathédrales, de la mer, des montagnes, c’est avec malaise et ennui, avec une sensation proche de l’écœurement, un sentiment voisin du spleen, qu’il voit un dernier couteau traîner sur la nappe à demi relevée, qui pend jusqu’à terre, à coté d’un reste de côtelette saignante et fade. Sur le buffet un peu de soleil, en touchant gaiement le verre d’eau que des lèvres désaltérées ont laissé presque plein, accentue cruellement comme un rire ironique, la banalité traditionnelle de ce spectacle inesthétique. (…) Il maudit cette laideur ambiante, et honteux d’être resté un quart d’heure à en éprouvé non pas la honte mais le dégoût et comme la fascination il se lève et s’il ne peut pas prendre le train pour la Hollande ou pour l’Italie, va chercher au Louvre des visions de palais à la Véronèse, des princes à la Van Dyck, des ports à la Claude Lorrain, que ce soir viendra de nouveau ternir et exaspérer le retour dans leur cadre familier des scènes journalières.

Claude LORRAIN, Le débarquement de Cléopâtre à Tarse
La mère laborieuse
Si je connaissais ce jeune homme, je ne le détournerais pas d’aller au Louvre et je l’y accompagnerais plutôt ; mais le menant dans la galerie La Caze et dans la galerie des peintres français du XVIIIe siècle, ou dans telle autre galerie française je l’arrêterais devant les Chardin. Et quand il serait ébloui de cette peinture opulente de ce qu’il appelait la médiocrité de cette peinture savoureuse d’une vie qu’il trouvait insipide, de ce grand art d’une nature qu’il croyait mesquine, je lui dirais : Vous êtes heureux ? Pourtant qu’avez-vous vu là ? qu’une bourgeoise aisée montrant à sa fille les fautes qu’elle a faites dans sa tapisserie (La mère laborieuse), une femme qui porte des pains (La Pourvoyeuse), un intérieur de cuisine où un chat vivant marche sur des huîtres, tandis qu’une raie morte pend aux murs, un buffet déjà à demi dégarni avec des couteaux qui traînent sur la nappe (Fruits et Animaux), moins encore, des objets de table ou de cuisine, non pas seulement ceux qui sont jolis, comme des chocolatières en porcelaine de Saxe (Ustensiles variés), mais ceux qui vous semblent le plus laids, un couvercle reluisant, les pots de toute forme et toute matière (La Salière, L’Écumoire), les spectacles qui vous répugnent, poissons morts qui traînent sur la table (dans le tableau de La Raie), et les spectacles qui vous écœurent, des verres à demi vidés et trop de verres pleins (Fruits et Animaux).

 

 
La pourvoyeuse

 Le plaisir que vous donne sa peinture d’une chambre où l’on coud, d’une office. d’une cuisine. d’un buffet, c’est, saisi au passage. dégagé de l’instant, approfondi. éternisé. le plaisir que lui donnait la vue d’un buffet, d’une cuisine. d’une office, d’une chambre où l’on coud. Ils sont si inséparables l’un de l’autre que. s’il n’a pu s’en tenir au premier et qu’il a voulu se donner et donner aux autres le second, vous ne pourrez pas vous en tenir au second, vous reviendrez forcément au premier. Vous l’éprouviez déjà inconsciemment ce plaisir que donne le spectacle de la vie humble et de la nature morte, sans cela il ne se serait pas levé dans votre cœur, quand Chardin avec son langage impératif et brillant est venu l’appeler. Votre conscience était trop inerte pour descendre jusqu’à lui. Il a dû attendre que Chardln vint le prendre en vous pour l’élever jusqu’à elle. Alors, vous l’avez reconnu et pour la première fois vous l’avez goûté. Si en regardant un Chardin, vous pouvez vous dire : cela est intime, est confortable, est vivant comme une cuisine, en vous promenant dans une cuisine. vous direz : cela est beau comme un Chardin. »

 

Jean-Siméon CHARDIN, Le bocal d’olives.

 

Où se le procurer ?

Pour lire dans son intégralité cet essai de Marcel Proust Chardin et Rembrandt, il faudra compter EUR 10, 54 dans son édition « Le bruit du temps ».

"Un plaisant" de Charles Baudelaire ("Le Spleen de Paris" ou "Petits poèmes en prose")

5 Jan

Feux d’artifices à Paris – Source : The Scented Salamander

 

Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

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C’est un rendez-vous mensuel que j’ai créé pour varier mes lectures et multiplier les moments de partage entre ceux qui me lisent et moi-même. Avant chaque premier du mois, il suffit de me contacter et de me faire parvenir vos idées soit par courriel (l’adresse de contact est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit en me laissant un commentaire en bas de ce billet ou sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

 

Vous pourrez écrire votre propre article en invité ou, faute de temps à y consacrer, écrire un petit topo pour expliquer votre lien avec l’extrait en question et je me charge de mettre en forme un article où vous (et/ou votre blog) seront cités. Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soient vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion !

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

 

#1: L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI
#4: « Éclaircie en hiver » in Pièces de Francis PONGE

 

Vous pouvez retrouver l’intégralité des articles et leurs extraits dans la rubrique « Un mois, un extrait » en haut de page
 
Ce mois-ci, j’ai été inspirée par les traditionnels vœux de bonne année. C’est le passage obligé après les fêtes et pendant un mois, ce moment est toujours assez délicat. On peut pécher parfois par manque d’originalité ou de créativité. En un mot, les vœux de bonne année n’auraient rien d’un exercice littéraire !

 

Ce n’est pas le cas chez Baudelaire dans son poème en prose « Un plaisant » dans Le Spleen de Paris. Baudelaire y narre une anecdote déplaisante le soir de la Saint-Sylvestre au coeur de Paris avec l’ironie et le mordant qui le caractérise. Si la tradition est banalement respectée avec des vœux apparemment anodins (« Je vous la souhaite bonne et heureuse ! »), elle est d’autant mieux détournée pour le bien de la critique. Quel en est l’objet ? Ou plutôt qui ?

 

C’est « l’esprit de la France » incarné par les personnages de l’anecdote. Baudelaire, qui se pose en observateur critique, y voit l’œuvre de la bêtise, de la « complaisance » chez ceux qui suivent une tradition à la lettre au point de souhaiter la bonne année à n’importe qui, même à un âne…

 

Charles BAUDELAIRE
Le Spleen de Paris ou Petits poèmes en prose
 

IV – UN PLAISANT

C’était l’explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort.
Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé par un malotru armé d’un fouet.
Comme l’âne allait tourner l’angle d’un trottoir, un beau monsieur ganté, verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s’inclina cérémonieusement devant l’humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d’ajouter leur approbation à son contentement.
L’âne ne vit pas ce beau plaisant, et continua de courir avec zèle où l’appelait son devoir.
Pour moi, je fus pris subitement d’une incommensurable rage contre ce magnifique imbécile, qui me parut concentrer en lui tout l’esprit de la France.

 

 Où se le procurer ?

Les Petits poèmes en prose (ou Le Spleen de Paris) est disponible en Pocket pour EUR 3, 04.

"Éclaircie en hiver" de Francis Ponge in "Pièces"

1 Déc

Claude MONET, La pie (1868-1869), Musée d’Orsay, Paris.
On ne peut pas dire que j’ai été extrêmement présente ici le mois dernier et, pourtant ce n’est pas faute de lire et de penser à « La Bouteille à la Mer » et à vous. A défaut d’avoir le temps pour l’instant d’en faire des billets digne de ce nom, voilà ce que je lis, essaye de lire ou n’arrive pas à lire. Beaucoup de lectures en suspens, en somme à cause des examens et du rendu des mini-mémoires qui approchent…

 

Si vous suivez ma page Facebook, vous savez déjà que j’ai commencé à lire Le Trône de Feraprès avoir découverte la super série Game of Thronesadaptée des romans. J’en suis au second tome Le Donjon rouge et même si je connais déjà l’intrigue et son issue (mwhahahaha !), c’est toujours très agréable à lire.

 

En même temps, j’ai entamé et rapidement abandonné (ce qui ne m’arrive pas souvent!) Sir Nigeld’Arthur Conan Doyle à la base pour mon challenge Cold Winter mais surtout pour lire autre chose que les enquêtes de Sherlock Holmes sous sa plume. J’en ai lu une centaine de pages et je dois dire que je suis très déçue et que je me suis passablement ennuyée. C’est une sorte de roman historique médiéval « à la Walter Scott » sauf qu’on ne rentre pas dedans. Je m’attendais à plus d’humour, plus d’aventures un peu dans le même esprit qu’une série que j’ai adoré cet été Robin des Bois. Je ne désespère pas de continuer et d’avoir une bonne surprise mais ça ne sera pas pour maintenant…

Guy de Gisborne (Richard Armitage) dans Robin des Bois (BBC) juste pour le plaisir.
Sinon, je lis L’abîme une court roman à quatre mains de Dickens et Wilkie Collins que j’ai commencé tout de suite après ma déconvenue avec Conan Doyle et je dois dire qu’on respire ! J’en suis au tout début alors je ne peux pas encore juger de la qualité de l’intrigue mais le style est bon et on entre facilement dans l’histoire d’un ancien orphelin de l’ère victorienne devenu riche et respecté…. du moins pour l’instant !

 

Après ce bilan pas très productif, j’en reviens à l’actualité de mon blog et à son rendez-vous mensuel, « Un mois, un extrait ». Rendez-vous en fin de billet pour en savoir plus sur son but et la marche à suivre pour y participer. 

 

Ce mois-ci, j’aimerais mettre à l’honneur de la poésie et celle de l’un des rares poètes contemporains que j’apprécie : Francis Ponge. Suite à une discussion avec une amie la semaine dernière, j’ai remarqué qu’il ne faisait pas l’unanimité alors c’est d’autant plus une bonne raison d’en parler !

 

Mon choix a été assez facile puisque ce poème est à la fois de circonstance et mon préféré. J’en aime les images et leurs associations mais aussi la trivialité qui se dégage de certaines comme autant de césures, de contrastes à l’instar de son titre « Éclaircie d’hiver ». Ça n’a rien à voir avec ses autres poèmes, surtout ceux du Parti pris des choses, où n’importe quel objet (même une crevette, autant dire du grand n’importe quoi !) peut devenir arbitrairement le sujet de son poème en prose. On sent plus d’unité dans celui-ci, quelque chose de plus fondamental sans pourtant qu’on perde de vue la sphère du quotidien, de l’immédiat, de la spontanéité qui est parfois laissée de coté par la poésie.

 

Je vous laisse apprécier ! (ou pas)

 

Francis PONGE, « Éclaircie en hiver » in Pièces

 

Le bleu renaît du gris, comme la pulpe éjectée d’un raisin noir.

Toute l’atmosphère est comme un œil trop humide, où raisons et envie de pleuvoir ont momentanément disparu. 

Mais l’averse a laissé partout des souvenirs qui servent au beau temps de miroirs.

Il y a quelque chose d’attendrissant dans cette liaison entre deux états d’humeur différente. Quelque chose de désarmant dans cet épanchement terminé.

Chaque flaque est alors comme une aile de papillon placée sous vitre. Mais il suffira d’une roue de passage pour en faire jaillir la boue.

 

            Il faudra EUR 7, 60 pour vous procurer le recueil de Francis Ponge, Pièces pour vous laisser étonner ou tout simplement vous laisser faire.

Rappel : Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

Lire chaque mois un ou plusieurs extraits d’une oeuvre choisie par moi ou par vous ! Car, la subtilité, c’est que pouvez aussi en être les acteurs en m’envoyant tous les mois (et avant le premier du mois) un extrait de votre choix. Vous serez invitée à écrire votre propre article sur mon blog et ainsi de partager votre histoire et vos ressentis avec moi et toute la blogosphère ! 🙂

La démarche est a suivante : vous pouvez soit me faire parvenir vos idées par courriel (l’adresse est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit me laisser un commentaire en bas de ce billet pour ensuite poursuivre la discussion dans autres eaux, soit le faire publiquement ou par Message Privé sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soit vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion ! 

 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

#1 : L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI  C’est mon roman de Dostoïevski préféré et ce passage est vraiment central pour comprendre la relation difficile qui unie les deux personnages principaux : le prince Mychkine et Rogojine. 

 

#2 : Le Problème de la souffrance de Clive Staples Lewis. (exceptionnellement, sur ma page FB). On associe souvent C.S Lewis avec Narnia sans connaitre forcément ce qu’il a écrit à coté. Avec ce passage, c’est l’occasion de découvrir son style magnifique, légèrement lyrique parfois, mais accordé au thème qu’il aborde qui n’est ici pas la souffrance mais plutôt la « joie ».

 

#3 : La triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires de Tim Burton; La période d’Halloween et la Toussaint m’avait inspirée dans mon choix en vous présentant ce recueil de poèmes où l’enfance est désarmée par l’humour noir et la cruauté sans pour autant perdre toute pointe de sensibilité… 

"La Triste fin du petit Enfant Huître et autres histoires" de Tim Burton

1 Nov
Tim Burton, La Triste fin du Petit enfant Huître et autres Histoires

L’univers de Tim Burton est à l’image des illustrations de La Triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires, ce petit recueil d’histoires grinçantes : à la fois noires et hautes en couleur. Cette juxtaposition chromatique me fait penser à l’affiche du film Ed Wood, à bien des égards l’un de mes Tim Burton préférés, un film en noir et blanc mais avec pourtant ce pull rose en couleur, d’autant plus burlesque et mis en valeur qu’il est le signe du goût d’Ed Wood pour se travestir en femme :
Affiche promotionnelle d’Ed Wood de Tim Burton.
Ce travestissement est justement le propre de l’univers de Tim Burton, qui se retrouve dans les thèmes abordés par ce recueil, où tout est échangé, déplacé et où se mêle en même temps et sur le même plan le noir et la couleur, la cruauté et la tendresse, le goût du macabre et de la poésie à tel point qu’on arrive plus à les dissocier, ce qui fait sûrement la beauté de ces histoires. 

 

Les personnages sont presque tous des figures enfantines ou assez minuscules et minimalistes pour rappeler le monde de l’enfance. Pourtant, comme en lendemain d’Halloween et en ce jour de la Toussaint, où les déguisements qui nous font retomber en enfance et les pensées noires des adultes dirigées vers les êtres chers qui nous ont quittées s’entremêlent  le monde de l’enfance n’est pas monochrome mais polymorphe à tel point que le monde de l’adulte n’est jamais loin. 

 

Toutes les histoires abordent le monde de l’enfance, par exemple par le biais de la relation (difficile) avec les parents, des premiers amours, de la cruauté des enfants entre eux ou de la différence et tout cela est vu sous un mode cynique, voire cruel, mais paradoxalement drôle. Chaque histoire, à un moment ou à un autre, nous arrache un sourire soit à cause d’un jeu de mot (la disposition en rimes aidant), soit d’une situation ou tout simplement de la chute de l’histoire. Certes, toutes les histoires finissent plus ou moins mal mais pourtant, étant courtes, elles sont toutes attachantes, elles nous saisissent, et les personnages à peine esquissés (qu’on retrouve par moment d’une histoire à une autre) nous attirent à eux et nous poussent à regarder leur histoire en face (même si elle n’est pas très drôle) et finalement à nous regarder nous-même en face.

 

En ce 1er novembre, à l’occasion de ce nouveau « Un mois, un extrait » (voir en fin de billet pour un petit rappel de ce que c’est), le rendez-vous mensuel que je vous propose depuis deux mois pour découvrir et me faire découvrir des oeuvres par petits morceaux choisis, Tim Burton est mis à l’honneur.

 J’aimerais vous donner envie de parcourir ce petit recueil de Tim Burton grâce à trois petites histoires qui m’ont plus touchées que les autres par leur profondeur ou par leur humour : « Stick Boy and Match Girl in Love » (« Brindille et Allumette amoureux »), « Stain Boy » (« Enfant Tache ») et « The Melancholy Death of Oyster Boy » (« La triste fin du petit Enfant Huître »), plus longue que les autres mais elle en vaut la peine !) et qui a donné son titre au recueil.

« Stick Boy and Match Girl in Love » (« Brindille et Allumette amoureux »)

Stick Boy like Match Girl, 
he liked her a lot.
He liked her cute figure, 
he thought she was hot.
Brindille aimait bien Allumette,
il l’aimait vraiment beaucoup,
il adorait sa jolie silhouette
et il la sentait chaude comme tout.
But could a flame ever burn
for a match and a stick ?
It did quite literally :
he burned up pretty quick.
Mais le feu de la passion peut-il être, 
entre une brindille et une allumette ? Eh bien
oui, à la lettre :
il flamba comme rien.

 

« Stain Boy » (« Enfant Tache »)

Of all the super heroes,
the strangest one by far,
doesn’t have a special power
or drive a fancy car.

De tous les héros, super cotés,
le plus étrange, et de beaucoup, 
n’a ni pou-
voir spécial, ni voiture tarabiscotée.

Next to Superman and Batman,
I guess he must seem tame,
But to me he is quite special,
And Stain Boy is his name.

A côté de Superman, de Batman et consorts, 
j’imagine qu’il parait sans panache, 
mais pour moi ils sort
de l’ordinaire, et son nom est Enfant Tache.

He can’t fly around tall buildings,
Or outrun a speeding train,
The only talent he seems to have
Is to leave a nasty stain.

Il ne sait pas voler parmi les buildings,
ni dépasser des trains roulant à toute berzingue :
il semblerait que son seul talent dingue
soit de laisser des taches cradingues.

Sometimes I know it bothers him,
that he’s can run or swim or fly,
and because of this one ability,
his dry-cleaning bill’s sky-high.

Parfois je sens que ça le contrarie
de ne pouvoir foncer sur terre, sur mer, en altitude,
et, du fait de son unique aptitude, 
ce qui monte jusqu’au ciel, c’est sa note de blanchisserie.

« The Melancholy Death of Oyster Boy » (« La triste fin du petit Enfant Huître »)


En voici une version lue (en anglais) et en image avec la voix de Drew Fuccillo (très agréable à écouter) et produire par « The End Audio » et Roman Chimientiread.

He proposed in the dunes,
they were wed by the sea.
Il fit sa demande au milieu des dunes,
près de la mer, ils devinrent femme et mari.

their nine-day-long honeymoon
was on the isle of Capri.

 

Neuf jours dura leur lune
de miel, sur l’île de Capri.
For their supper, they had one spectacular dish –
a simmering stew of mollusks and fish.
And while he savored the broth
her bried’s heart made a wish.
Au souper, ils eurent un plat grand luxe :
un ragoût mijoté de poissons et mollusques.
Pendant que du bouillon lui goûtait la saveur,
la jeune épousée fit un voeu dans son coeur.


That wish did come true – she gave birth to a baby.
But was this little one human ? 
Well,
maybe.

Ce voeu devin réalité : elle eut un bébé.
Mais ce bébé était-il humain ?
Eh bé,
on ne sait point.
Ten fingers, ten toes,
he had plumbing and sight.
He could hear, he could feel,
but normal ?
Not quite.
this unnatural birth, this canker, this blight
was the start and the end and the sum of their plight.

Dix doigts, certes, et dix orteils –
tuyauterie interne en état –  pour voir des oeils –
de quoi tâter – pour entendre, des oreilles – 
Mais normal, sans men-
tir, pas vraiment.
Cette naissance contre nature, cette plaie, cet ulcère,
fut leur calvaire.


She railed at the doctor :
« He cannot be mine.
He smells of the ocean, and seaweed and brine. »
La mère injuria le médecin :
« Je ne peux pas l’avoir porté dans mon sein.
Il sent l’océan, le varech, l’oursin. »


« You should count yourself lucky, for only last week,
I treated a girl with three ears and a beak.
That your son is half oyster
you cannot blame me.
… have you considered, by chance,
a small home by the sea ? »
« Vous pouvez vous estimer heureuse : il y a quelques
jours, j’ai soigné une petite avec trois oreilles et un bec.
Si votre fils est une huître
m’en blâmer serait cuistre.
Pour vous loger, avez vous envisagé, d’aventure,
un endroit près de la mère… genre saumure ? »
Not knowing what to name him,
they just called him Sam,
or, sometimes,
« that thing that looks like a clam. »
Everyone wondered, but no one could tell,
When would young Oyster Boy come out of his shell ?

 Ne sachant trop quel nom donner à cet apôtre,
ils l’appelèrent juste Luc,
ou bien, de temps à autre,
 » ce trucmuche aux allures de mollusque. »

Tout le monde se demandait, mais qui
aurait su dire, quand donc il quitterait sa coquille.


When the Thompson quadruplers espied him one day
they called him a bivalve and ran quickly away.
Les quadruplés Thompson, un jour l’apercevant,
le traitèrent de bivalve et s’enfuirent comme le vent.
One spring afternoon,
Sam was left in the rain.
At the southwestern corner of Seaview and Main,
he watched the rain water as it swirled
down the drain.
Un après-midi de printemps,
Luc fut laissé sous une pluie battant.
Au coin sud-ouest des rues Marine et Principale,
il voyait l’eau du ciel s’engouffrant en spirale
dans un égout dégoûtant.


His mom on the freeway
in the breakdown lane
was pounding the dashboard –
she couldn’t contain
the ver-risng grief
frustration
and pain.
Sur l’autoroute, celle qui l’engen-
dra, sa maman, sur la bande d’arrêt urgent
frappait le tableau de bord des poings
car supporter elle ne pouvait point
son chagrin crois-
sant – sa frustration, de surcroît -,
sa croix.


« Really, sweetheart, » she said,
« I don’t mean to make fun,
but something smells fishy
and I think is our son.
I don’t like to say this, but it must be said,
you’re blaming our son for your problems in bed. »

« Franchement chéri, dit-elle à son mari,
sans plaisanterie,
cette histoire ne sent pas bon, à vrai dire le poisson,
et je crains que ça soit le fiston.
Je regrette d’en parler, mais ce doit être dit :
coupable ne le tiendrais-tu pas de tes problèmes de lit ? »
He tried salves, he tried ointments
that turned everything red.
He tried potions and lotions
and tincture of lead.
He ached and he itched and he twitched and he bled.

Il se frotta de baumes et d’onguents, il s’oignit
n’y gagnant que gerçures.
N’épargna ni potions ni lotions ni
plomb en teinture
Il souffrit, il saigna, se couvrit d’écorchures. 


The doctor diagnosed,
« I can’t be quite sure,
but the cause of the problem may also be the cure.
They say oysters improve your sexual powers.
Perhaps eating your son
would help you do it for hours! »
Le docteur ce discours lui tint :
« Difficile d’être certain,
mais la cause du mal n’en est-elle pas la cure ?
On dit les huîtres accroître le pouvoir d’effilure :
manger votre fils
vous aiderait peut-être à […] des heures de file ? »
He came on tiptoe
he came on the sly,
sweat on his forehead
and on his lips – a lie.
 » Son, are you happy ? I don’t mean to pry,
but do you dream of Heaven?
Have you wanted to die ?
Le père vint à l’enfançon
d’une démarche de faux jeton, 
la sueur mouillant son front,
aux lèvres un discours félon :
« Mon fils, es-tu heureux ? Sans indiscrétion,
rêves-tu quelques fois des célestes régions ?
T’es-tu jamais dit : « Mourrons » ? »
Sam blinked his eyes twice
but made no reply.
Dad fingered his knife  and loosened his tie.
Par deux fois les yeux du marmot
cligna, mais ne pipa mot.
Papa palpa son coutelas,  dégrafa son paletot.
As he picked up his son,
Sam dripped on his coat.
With the shell to his lips,
Sam slipped down his troat.
Quand il soulève Luc de sa couche,
l’enfant sur ses habits en gouttes se répand.
Ca y est, la coquille est au bord  de la bouche
paternelle… hop ! Luc dans la gorge descend !
 They buried him quickly in the sand by the sea
– sight a prayer, wept a tear –
and were back home by three.
A cross of gray driftwood marked Oyster Boy’s grave.
Words writ in the sand
promised Jesus would save.
Près de la mer, vite ils l’enterrèrent, dans la profondeur
des sables – soupirèrent des prières, versèrent des pleurs – 
et furent à la maison rentrés avant trois heures.
Des bois flottant à la dérive, une croix : la tombe du petit
Enfant Huître. Tracée sur le sable, la promesse du salut
de Jésus.
 But his memory was lost with one high-ride wave.
Mais sa mémoire, à al première marée, se perdit.
Back home, safe in bed,
he kissed her and said,
« Let’s give it a whirl. »
A la maison, bien au chaud dans le lit,
le père embrassa la mère et dit :
« Allez, on essaie. On s’entortille et on frétille. »
« But this time » she whispered, « we’ll wish for a girl. »
« D’accord, dit-elle. Mais cette fois, prions une fille. »

 

          Sur cette note joyeuse, je vous laisse profiter de ce jour férié. Puisse votre journée de la Toussaint être moins triste que « la triste fin du petit Enfant Huître » malgré le temps pluvieux (du moins chez moi :() ! J’espère que ces extraits, dans le cadre de mon « Un mois, un extrait », vous auront plu. Rendez-vous dans un mois ! 😉

       Mon édition de La Triste fin du petit Enfant Huître et autres histoires de Tim Burton est l’édition spéciale dans la collection 10/18 avec une couverture toute noire, forcément. Elle vous coûtera EUR 9,63. La traduction de ces histoires, telles qu’elles sont présentées sur son blog,  est  celle de René Belletto et les illustrations de Tim Burton, himself. 🙂

Rappel : Qu’est-ce qu’« Un mois, un extrait » ?

Lire chaque mois un ou plusieurs extraits d’une oeuvre choisie par moi ou par vous ! Car, la subtilité, c’est que pouvez aussi en être les acteurs en m’envoyant tous les mois (et avant le premier du mois) un extrait de votre choix. Vous serez invitée à écrire votre propre article sur mon blog et ainsi de partager votre histoire et vos ressentis avec moi et toute la blogosphère ! 🙂

La démarche est a suivante : vous pouvez soit me faire parvenir vos idées par courriel (l’adresse est disponible dans la rubrique « L’auteur », voir en haut de page), soit me laisser un commentaire en bas de ce billet pour ensuite poursuivre la discussion dans autres eaux, soit le faire publiquement ou par Message Privé sur la page Facebook de « La Bouteille à la Mer ».

Aucune obligation de posséder un blog ou d’être un(e) grand(e) spécialiste en littérature. C’est surtout le partage qui compte qui que vous soyez et quelques soit vos goûts. Je suis toujours curieuse de découvrir de nouvelles choses, de nouveaux genres et c’est l’occasion ! 

« Dans les épisodes précédents », « Un mois, un extrait » a fait découvrir :

#1 : L’Idiot de Fiodor DOSTOÏEVSKI  C’est mon roman de Dostoïevski préféré et ce passage est vraiment central pour comprendre la relation difficile qui unie les deux personnages principaux : le prince Mychkine et Rogojine. 

 

#2 : Le Problème de la souffrance de Clive Staples Lewis. (exceptionnellement, sur ma page FB). On associe souvent C.S Lewis avec Narnia sans connaitre forcément ce qu’il a écrit à coté. Avec ce passage, c’est l’occasion de découvrir son style magnifique, légèrement lyrique parfois, mais accordé au thème qu’il aborde qui n’est ici pas la souffrance mais plutôt la « joie ».